Le seul éternellement aimé

Poursuivant l'amour toute notre vie,
nous ne l'obtenons jamais que d'une manie`re imparfaite
qui fait saigner notre coeur.

Et l'eussions-nous obtenu vivants,
que nous en restera-t-il après notre mort?

Je le veux, une prière amie nous suit au delà de ce monde,
un souvenir pieux prononce encore notre nom,
mais bientôt le ciel et la terre ont fait un pas,
l'oubli descend,
le silence nous couvre,
aucun rivage n'envoie plus sur notre tombe.
la brise éthérée de l'amour.

C'est fini,
c'est à jamais fini
et telle est l'histoire de l'homme dans l'amour.

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Je me trompe, Messieurs,

il y a un homme dont l'amour garde la tombe;
il y a un homme dont le sépulcre n'est pas seulement glorieux,
comme l'a dit un prophète,
mais dont le sépulcre est aimé.

Il y a un homme dont la cendre,
après dix-huit (après dix neuf) siècles n'est pas refroidie;
qui chaque jour renaît dans la pensée
d'une multitude innombrable d'hommes (de femmes et d'enfants)
qui est vivité dans son berçeau par les bergers et par les rois,
lui apportant à l'envi et l'or, et l'encens, et la myrrhe.

Il y a un homme
dont une portion considérable de l'humanité reprend
les pas sans se lasser jamais,
et qui,
tout disparu qu'il est,
se voit suivi par cette foule
dans tous les lieux de son antique pèlerinage,
sur les genoux de sa mère,
au bord des lacs,
au haut des montagnes,
dans les sentiers des vallées,
sous l'ombre des oliviers,
dans le secret des déserts.

Il y a un homme mort
et enseveli,
dont on épie le sommeil
et le réveil,
dont chaque mot qu'il a dit
vibre encore,
et produit plus que l'mour,
produit des vertus
fructifiant dans l'amour.

Il y a un homme,
attaché depuis des siècles à un gibet,
et cet homme,
des milliers et des millions d'adorateurs
le détachent chaque jour
du trône de son supplice,
se mettent à genoux devant lui,
se prosternent au plus bas
qu'ils peuvent
sans en rougir
et là,
par terre,
lui baisent
avec une indicible ardeur
les pieds sanglants.

Il y a un homme flagellé
tué,
crucifié,
qu'une inénarrbale passion
ressuscite de la mort
et de l'infamie,
pour le placer dans la gloire
d'un amour
qui ne défaille jamais,
qui trouve en LUI la paix,
l'honneur, la joie
et jusqu'à l'extase.

Il y a un homme poursuivi dans son supplice et sa tombe
par une inextinguible haine,
et qui,
demandant des apôtres
et des martyrs
à toute postérité
qui se lève,
trouve des apôtres et des martyrs
au sein de toutes les générations.

Il y a un homme enfin,
et le seul qui ait fondé son amour sur la terre,
et cet homme,
c'est VOUS,
O JESUS !
Vous qui avez bien voulu me baptiser,
m'oindre,
me sacrer dans votre amour
et dont le nom seul,
en ce moment,
ouvre mes entrailles
et en arrache cet accent
qui me trouble moi-même
et que je ne connaissais pas.

(Extrait de la 39è Conférence:1846.
De l'établissement du Règne de Jésus-Christ)

Lacordaire (1802-1861)