ECOLE PUGINIER

Puginier et Saint Joseph 1951-1952

Puginier et Saint Joseph 1953-1954

Le Promoteur
Ce nom de notre Ecole de Hanoi est celui de Mgr. Puginier, premier Evêque de la capitale du Nord Vietnam (le Tonkin). Son nom et son souvenir occupent une grande partie dans l’histoire de ce pays. Voyageurs, chargés de missions diplomatiques, chefs d’expéditions, résidents… se sont tous trouvés en relation avec lui.
Quand il arriva dams le pays, Hanoi actuel n’était qu’un grand marché qui s’appelait "Kẻ Chợ" (Marché du centre). C’était une immense plaine, peuplée de paillotes et de maisons basses plus ou moins vastes et solides. Quand l’Evêque voulut bâtir son église – sa cathédrale – il dut s’imposer architecte, ingénieur, maçon, charpentier, menuisier, serrurier; il lui fallut apprendre à ses aides à fabriquer la chaux, les briques… à les disposer selon le plan conçu… à veiller à la solidité de la construction. Les difficultés, une à une vaincues, la cathédrale était debout et resta longtemps le seul monument de Hanoi. Et quand le palais du Gouverneur, the théâtre, le palais de Justice, l’hôpital militaire, le palais de l’exposition, tous d’architecture remarquable, sont sortis à leur tour du sol, la cathédrale soutient encore honorablement son rang, en dépit des défauts de détail.
Du fait de l’occupation française, la ville s’est étendue et couvrait alors une superficie de neuf cent soixante-dix hectares, sur la rive droite du Fleuve Rouge et comptait cent vingt mille habitants.
Mgr. Puginier était heureux de voir se développer les signes de la prospérité, mais il était plus que réservé de tirer trop tôt la population locale de la simplicité de ses meorus et de ses coutumes nationales. Il jugeait même pernicieuse l’initiation brusque à la civilisation occidentale. Et comme la langue est le véhicule des idées, il déconseilla d’abord l’enseignement général du français dans les écoles indigènes. Toutes celles de la Mission Catholique étaient pour cette raison purement indigènes. On peut certes reconnaỵtre la respectabilité de ce souci moral chez le missionnaire. Mais il serait également logique de lui dénier le sens du réalisme: on ne peut prétendre vivre de l’air du temps sans accepter de risquer d’en prendre les miasmes – quitte à recourir à d’autres moyens de préservation.
Aussi le jour vint cependant ó la présence des Européens de plus en plus nombreux exigea une école française tenue par des maỵtres chrétiens. Mgr. Puginier fut le premier à le reconnaỵtre. Il se hâta d’appeler à Hanoi les Frères des Ecoles Chrétiennes. Mais il était réservé à son successeur, Mgr. Gendreau, de réaliser le projet.
Le Réalisateur en trois étapes
Le 6/8/1894, un groupe de quatre Frères arrivait à Hanoi.
Provisoirement ils furent installés dans une apillote de modeste apparence, près de l’église. Le succès était au rendez-vous dès les premiers mois. Les classes se révélaient trop petites pour le nombre d’élèves qu’elle devait abriter. Mgr. Gendreau résolut de procurer aux Frères un établissement plus vaste et mieux aménagé. Il mit à leur disposition une maison située rue Jules Ferry, non loin de la première, et précédemment affectée à la communauté des Soeurs de Saint Paul de Chartres. Le nouveau local, bâti sur le plan d’un immeuble de rapport et destiné à la location, ne répondait pas entièrement aux exigences d’une école… Il fallut en tirer parti au mieux. Les deux classes de la première maison furent transférées dans celle-ci; une troisième fut ouverte pour les fils de mandarins ou de fonctionnaires venus de Saigon dans le Sud du pays.
A quatre cents mètres de là, sur la Rue de la Mission, existait avec le titre de Collège, une école tenue par un missionnaire assisté de deux professeurs Vietnamiens. Fondée en vue de donner avec l’instruction, une formation morale, celle-ci comptait de 150 à 200 jeunes Vietnamiens. Dès que les Frères eurent fait leurs preuves et conquis la sympathie des gens, Mgr. Gendreau leur confia ce nouveau champ d’action.
L’acceptation de cette offre n’entraỵna pas une augmentation sensible dans le personnel de la communauté. Un Frère du Sud fut envoyé en renfort. Aidé par quatre professeurs lạcs, le nouveau venu se mit à l’oeuvre. La tâche était multiple. Au souci de la discipline et des études des élèves, s’ajoutait pour le maỵtre, l’étude des coutumes du pays, et la pratique de la langue. Mais, grâce à un effort constant, les difficultés s’aplanirent. Et l’école de la Rue de la Mission et celle des la Rue Jules Ferry jouirent d’une renommée égale. Le mérite de ces Frères Européens n’était pas mince. Qu’on se figure des hommes dans la force de l’âgr, obligés d’enseigner les autres, et appliqués en même temps par souci d’efficacité à apprendre la langue de la population au milieu de laquelle ils vivent, alors que les organes phonotiques n’ont plus toute leur plasticité!
Les deux écoles – indigènes à la Rue de la Mission, et française à la Rue Jules Ferry – formaient un complex dejà important: la première avec deux cents élèves, la seconde avec une soixantaine – Français ou métis – don’t plus de la moitié à titre de pensionnaires, pendant que d’autres y demandaient place dans les mêmes conditions.
Mgr. Gendreau choisit alors un terrain appartenant à la Mission et y fit jeter les fondations de la future école Puginier. L’espace ne fut pas ménagé. La maison mesure 45m de longueur sur 16 de largeur et comprend deux étages. Au rez-de-chaussée se trouvent cinq classes, la procure et le parloir; au 1er, deux classes et le logement de la communauté. Enfin, chapelle, dortoir et infirmerie occupent le deuxième étage. Les Frères prirent possession de leur nouvelle maison au mois de Juillet 1897.
Quelques temps apres, l'école Vietnamienne de la Rue de la Mission trouve également place sur le même terrain avec la construction d'un bâtiment à un étage parallèle au premier, pouvant abriter au rez-de-chaussée cinq classes pour les Vietnamiens et un réfectoire, et à l'étage, un vaste dortoir pour les pensionnaires. C'était en Juin 1904.
En définitive, Puginier comptait alors deux sections, la française comprenant cent cinquante élèves répartis en six classes; sur ce nombre cinquante étaient pensionnaires. La section Vietnamienne avec deux cents élèves remplissait cinq classes.
Plus tard encore, la section Vietnamienne devenant plus nombreuse, on dut construire un pavillon pour six classes presque dans le prolongement du second bâtiment de Puginier, et donnant sur la Rue des Teintures (Phố Hàng Thợ Nhuộm). Ainsi le plan d'ensemble de Puginier d'avant la Seconde Guerre était: le grand bâtiment du Blvd Carreau (plus tard, Lý Thường Kiệt), et parallèlement, appuyant sur la Rue des Teintures, le second bâtiment avec classes et réfectoire au rez-de-chaussée, et dortoir à l'étage avec infirmerie, les deux reliés par un hangar fermé le long du Blvd Jauréguiberry et servant de préau. La bâtisse au rez-de-chaussée, servant de classes pour la section Vietnamienne dans le prolongement du second bâtiment, s'ouvre sur la Rue des Teintures. C'est dans cette dernière que se sont formées, avec d'autres nombreux élèves externes, bien des générations de probatoristes qui y venaient apprendre le français, envoyés par leur supérieur, le père Décréaux. Mgr le Cardinal et Archevêque Trịnh Văn Căn et son successeur actuel, le Cardinal Archevêque Phạm Đình Tụng, étaient de ceux-là pendant plusieurs années.
Entre les trois bâtiments, c'était une grande cour de récréation bordée du côté du Blvd Carreau par le jardin de la communauté. En 1950, Frère Cyprien, alors Directeur, commença sur celui-ci la construction d'une chapelle achevée un an après. En tant que son successeur à partir de 1951, j'en payais les frais pendant deux ans. Tel était le plan général de Puginier lors de la partition du pays et de l'évacuation du Nord vers le Sud.
Faute de pièces d'archives, je me contente ici de quelques souvenirs personnels:
En 1928, quand j'arrivais d'Haiphong à Hanoi pous assister à la séance de fin d'année de distribution des prix, mon impression était enthousiate devant cette foule de parents accourus voir leur progéniture évoluer sur la scène pour la représentation des opérettes musicales, genre Auguste Thibault: c'était brillant, gentil, gracieux... J'en fis mon profit par la suite, à Namdinh, Pellerin (Huế) et Adran (Đà Lạt). Plusieurs fois, j'entendais l'éloge d'un grand directeur à qui Puginier devait sa réputation à cette époque. Il s'appelait Frère Corentin René.
Un autre remarquable professeur dont le nom était prononcé avec grand respect aussi, était le Frère Dunstan Alfred à l'imposante voix de ténor. Je rêvais d'être comme ce grand maỵtre redouté des élèves et révéré par ses collègues. L'enseignement le plus répandu était le primaire, supérieur même dans les collèges d'Etat. Seul le lycée Albert Sarraut avait le cycle secondaire.
J'ignore ce qui avait précédé, mais en Juin 1928, à mon arrivée pour inaugurer avec mon ancien directeur de Haiphong, Frère Xavier Ernest, une classe de première année primaire supérieur franco-indochinoise, en parallèle avec sa pareille française, celle-ci comptait alors entre autres trois élèves devenus depuis trois sommités:
1. Le premier était Marcel Caratini, plus tard un grand maỵtre de la magistrature en France et dont dépendaient plusieurs magistrats Vietnamiens de mes amis qui en parlaient avec grande vénération.
2. Le deuxième est son frère Roger dont je lisais il y a plus de dix ans l'éloge dans une revue au sujet d'un ouvrage encyclopédique scientifique dont il était l'auteur.
3. Et le troisième est un Vietnamien, Phạm Huy Thông, agrégé d'histoire, docteur-ès-lettres et ministre dans un gouvernement Hồ Chí Minh.
C'est au retour des Frères après la guerre que le secondaire fut amorcé avec les classes primaires par le Frère Cyprien Thiên. A mon arrivée en 1951, le premier cycle s'acheva avec la Troisième, et la Seconde commença pour finir, au complet, au moment de la débandade vers le Sud.
On aura remarqué que depuis les débuts, la priorité de la Mission allait aux Européens, avec l'école en paillote, puis celle de la Rue Jules Ferry, enfin celle du Blvd Carreau, avec le pensionnat dans l'une comme dans l'autre.
La section Vietnamienne était alors Rue de la Mission et ne s'intégrait à Puginier qu'en 1904, dans le second bâtiment à étage, puis dans le bâtiment à rez-de-chaussée. Il y avait des Vietnamiens dans les classes française comme assimilés. Mais l'organisation essentiellement pour les Vietnamiens n'existait qu'en section primaire, et celà jusqu'en 1928, quand le cycle primaire supérieur franco-indochinois fut amorcé par une classe de première année dont je fus titulaire avec Frère Xavier Ernest, mon ancien directeur à Haiphong comme professeur de français.
Ceci pour expliquer que Puginier était moins célèbre dans le milieu Vietnamien que Taberd et Pellerin, ayant au moins de part dans la formation de l'élite Vietnanmienne que les deux autres. Car, on l'a vu, Mgr Puginier avait une grande hésitation à apprendre le français aux Vietnamiens. Un document d'archives ayant eu l'air de rendre responsable de cet état de choses "le caractère des Tonkinois à qui il fallait souvent du nouveau". J'ai fallu mettre la chose au point.
A part cette différence, le travail des Frères était partour le même. Travail obscur, laborieux, et très apprécié dans ses résultats, ainsi qu'en témoignait un ancien missionnaire de cette époque: "Selon l'usage de cette époque, les prières, le catéchisme, font partie des programmes, c'etait chose admise par tous, et ne choquait pas les parents qui savaient que l'Ecole Puginier n'etait tenue que par des religieux. Je fis remarquer un jour à un père de famille boudhiste qui demandait l'admission à l'école de deux de ses enfants, qu'ils devaient suivre les cours d'instruction religieuse, il me répondit en substance: 'Chez vous au moins ils apprennent à faire ce qui est bien!'".
Quel plus bel éloge de l'école chrétienne

Frere Pierre