PROLOGUE

Problématique

Au Vietnam, à la veille des événements de 1975, le district des Frères du Vietnam comptait 300 Frères, une quinzaine de novices et une trentaine de scolastiques[1]. Ils dirigeaient 23 établissements, comprenant des écoles primaires, secondaires, techniques, des pensionnats pour Vietnamiens et pour Montagnards (minorités ethniques), un centre pour aveugles, un Institut de pédagogie et une université. Les mouvements d'Action Catholique ou de jeunes y trouvaient un terrain favorable : les Cœurs Vaillants, la Jeunesse Étudiante Chrétienne (JEC), la congrégation mariale, le scoutisme…

D’une part, les Frères ne travaillaient que dans leurs écoles à l’époque. Toute la formation visait à ce seul but principal: l’enseignement. Ils étaient contents de vivre ainsi leur vocation lasallienne : l’éducation par l’enseignement dans l’école – le terme “lasallien” vient du nom de Jean-Baptiste de La Salle, le Fondateur des Frères. On n’a jamais imaginé les Frères sans école ni cherché à comprendre la différence entre l’enseignement et l’éducation. D’autre part, la réussite des écoles des Frères dans le passé a bien inculqué dans l’esprit de la plupart des gens qui les connaissent, que leur raison d’être n’était que l’enseignement dans l’école. 

Les événements de 1975 ont tout balayé : écoles nationalisées, maisons occupées, communautés désorganisées. Le moyen de vivre leur mission dans le passé qu’est l’école est perdu. Croyant que l’Institut n’a plus de raison d’être, des Frères partirent pour l'étranger, d'autres se retirèrent en famille, d'autres sortirent, d’autres encore changèrent de métier ou d’orientation. À la fin de 1978, un décret renvoyaient prêtres, religieux, religieuses de l'enseignement comme “inaptes dans une école socialiste”. Un petit nombre de Frères (6) fut gardé parce que leur directeur d'école du nouveau régime avaient besoin d'eux. Les autres furent remerciés. C’est une raison de plus pour dire aux Frères qu’ils n’ont plus de place dans cette société socialiste.

Pour cela, je commence à prendre conscience peu à peu que l’enseignement et l’éducation sont deux choses différentes et que l’école n’est qu’un moyen privilégié pour l’éducation, mais pas l’unique. Donc, en ouvrant mes yeux et avec CRÉATIVITÉ, je pourrais trouver d’autres moyens pour exercer ma fonction d’éducation sans écoles, trouver une autre place que celle qui m’est alors refusée.

***

À travers l’histoire de l’Institut dans le monde, la question de la sortie de leur congrégation des Frères à chaque grand événement n’est pas nouvelle, pas plus que leur déplacement.  En 1905, un groupe de Frères débarquaient en rade de La Havane et l’année suivante le Collège du Vedado et l’École gratuite de Belén fonctionnaient déjà avec 23 Frères. En 1959, « le District cubain était à son apogée », mais « survinrent les événements qui ont jeté la grande Île dans l’aventure marxiste. L’Église Catholique se vit persécutée, et les Congrégations religieuses, obligées de disparaître : mars 1961, les œuvres lasalliennes furent ruinées…» [2]. Un grand nombre des Frères rejoignirent les districts voisins : États-Unis, Mexique, Amérique Centrale, République de Saint-Domingue.

En Tchécoslovaquie, au début de la seconde guerre mondiale 1939-1945, on comptait 14 maisons, 116 Frères, 8 novices et 24 scolastiques. Mais, « toutes ces belles œuvres furent détruites par les dévastations de la Seconde Guerre et la persécution communiste. Tout enseignement fut interdit aux religieux ».[3]

De même, en Yougoslavie, la Guerre Mondiale a détruit toutes les œuvres des Frères. Le Juvénat de Birnmbaum, fraîchement construit en 1912, disparut aussi dans la tourmente. Au moment où le « rideau de Fer » sépara la Hongrie, la Tchécoslovaquie, la Roumanie, la Yougoslavie et la Bulgarie, « les Communautés des Frères n’existent plus derrière le rideau, les bâtiments ont été aliénés, et les Frères ont vieilli et se sont dispersés. La plupart se trouvent à Budapest ou dans les environs, cherchant à gagner leur vie […]. Chose admirable malgré leur grande misère, ils restent fidèles à leur cher Institut. »[4]

La question de la sortie des Frères, du changement d’orientation, existe ainsi de tout temps. Et multiples sont les raisons qui les poussent à quitter l’Institut. Mais la sortie massive au Vietnam après l’événement de 1975 en réduisant le nombre de 300 à 69 devrait faire réfléchir les Supérieurs et les Frères qui s’attachent encore à l’Institut malgré leur secousse, ainsi qu’à tous ceux qui s’intéressent aux œuvres des Frères : sorties du 30 avril à 31 décembre 1975, 65 Frères ; en 1976, 26 Frères ; en 1977, 22 Frères ; en 1978, 15 Frères ; en 1979, 13 Frères ; en 1980, 6 Frères ; en 1981, 7 Frères ; en 1982, 6 Frères ; en 1983, 8 Frères ; en 1984, 3 Frères. Par ailleurs, avant la chute de Saigon, les Frères ont parlé avec ardeur aux jeunes de la vie des Frères pour le recrutement. Et chaque année, les Frères accueillaient immanquablement une vingtaine de jeunes qui décidaient d’adopter la vie des Frères. Un grand point d’interrogation sur l’identité des Frères vient d’une interruption subite pendant une longue période de 1975 à 1990. Des centaines de jeunes dits juvénistes qui vivent dans les maisons de formation spéciale pour préparer leur future vie furent tous renvoyés dans leur famille sans délai. Et de ceux-là, il ne reste que trois qui persévèrent jusqu’à ce jour grâce à leur ténacité. Ils ont pris l’habit religieux seulement en 1985, après dix années d’attente. En réalité, de temps en temps, certains jeunes étaient venus chercher à comprendre la vie des Frères. Mais ils ont reçu une réponse dilatatoire de la part des Supérieurs manifestant la remise en question ou plutôt le chemin sans issue de la vocation des Frères dans cette situation d’un pays socialiste.

Années

Sorties

Novices

1975

65

0

1976

26

0

1977

22

0

1978

15

0

1979

13

0

1980

6

0

1981

7

0

1982

6

0

1983

8

0

1984

1

0

1985

2

2

1986

2

3

1987

2

2

1988

0

0

1989

2

3

1990

0

0

1991

0

4

1992

2

6

1993

1

6

1994

0

5

1995

2

7

1996

2

0

1997

2

9

1998

2

6

1999

1

5

2000

0

0

2001

1

6

2002

2

5

2003

2

6

2004

0

5

2005

3

5

Une des grandes questions de ma thèse est  de comprendre ce double mouvement : Pourquoi ont-ils quitté massivement l’Institut et pourquoi s’engageaient-ils dans l’Institut des Frères ?

Est-ce qu’ils comprenaient bien ce qu’est l’identité d’un Frère-éducateur ? Sinon, pourquoi ont-ils quitté massivement l’Institut juste au moment où leur instrument privilégié, qu’est l’école, était attaqué ? « Autrement dit, qu’est-ce qui les a poussé à s’engager dans l’action collective » qu’est la vie des Frères ? « Pour le sociologue italien Alessendro Pizzorno, il y a derrière cette énigme une explication première : la quête permanente, chez chacun de nous, de notre identité et de la reconnaissance des autres »[5]. Cela s’applique en partie à la disparition de la présence « visible » des Frères dans la société. Implicitement, sentent-ils qu’ils ne sont pas reconnus par des autres, ou plus précisément par les autorités d’un pays socialiste ? C’est conforme à la remarque soulevée par A. Pizzorno : « J’avais remarqué que, pour beaucoup de gens, tout compromis en matière idéologique remettait en question fortement l’identité. Pour les communistes en revanche, on pouvait accepter beaucoup d’arrangements, dès lors que l’identité allait de soi : c’était la carte du Parti ».[6]

Normalement, un jeune a choisi définitivement la vie des Frères après de longues années de formation. Il a vécu paisiblement dans un milieu scolaire et « dans un système social sécurisant et protégé » où il a vu « les conséquences de son choix se réaliser » sans aucune incertitude par rapport à « l’état des valeurs » et à « ses préférences ». Il n’a pas eu le souci de « prendre le risque de transformer certains pans de son identité » [7].

« La tâche » est donc de savoir comment il comprend l’identité de son état dans le temps où il s’adonne à travailler dans les écoles déjà existantes. Est-ce que ses formateurs ont inculqué chez lui l’énigme de cette différence entre un enseignant et éducateur ? Ou bien « la socialisation primaire » est-elle faite mais la « socialisation secondaire »[8] fait-elle défaut ? La persévérance dans une vie « dépend, bien évidemment, du contexte mais aussi des habitudes de vie, donc de la socialisation primaire et de la formation initiale »[9]. Il y a sans doute « un risque majeur à vouloir transformer une pratique professionnelle si souvent marquée par la routine »[10]. Cependant il est nécessaire que « perdurer dans son être professionnel nécessite une transformation des habitudes acquises »[11]. Mais dans la réalité, devant l’apparence de la réussite dans sa profession d’enseignement, du développement de jour en jour des écoles et d’ autres succès… « comment se convaincre de modifier une pratique coutumière forgée d’attentes anciennes ? »[12]. En réalité, plusieurs sessions de formation purement professionnelles et pédagogiques furent organisées dans le passé et ouvertes à des enseignants laïcs. Donc, ce n’est pas que l’on ait oublié que « se former, c’est parvenir à formuler une réponse pertinente à la question du “à quoi ça sert” », ni que « se former nécessite de se projeter […], d’oser penser son futur »[13] . Mais on a oublié de prévoir, de projeter la pire des situations, celle de la perte de cet « instrument privilégié » qu’est l’école.

À la vue des Frères qui quittent l’Institut l’un après l’autre, souvent certains en attribuent la responsabilité à des formateurs, d’autres à l’individu lui-même qui n’est pas rationnel, qui est égoïste en abandonnant ses confrères au moment difficile. Les longs entretiens que nous avons faits dans une démarche relevant de la sociologie qualitative montrent que « Égoïsme/altruiste, rationalité/irrationalité sont de fausses dichotomies. La question est de définir l’identité, la constance, l’observabilité comme étant la même dans le temps, de ce moi, de ce self, dont on croit expliquer l’action en lui imputant préférences et valeurs ».[14]

D’autre part, l’évaluation de l’éducation vietnamienne aux yeux des responsables n’est pas très encourageante. Le système éducatif adhère fortement à la politique d’un pays et manifeste la véritable essence de ce monopole dans l’éducation du système. Malgré de multiples « rénovations » pendant trente ans, la qualité de l’éducation ne connaît que le recul tant au niveau du savoir qu’à celui de la formation humaine. Des jeunes qui ont obtenu le baccalauréat vietnamien n’arrivent pas à écrire une demande ou à rédiger un texte en vietnamien grammaticalement correct. La formation humaine, qui est essentielle dans l’éducation, est considérée sans importance et négligée à l’école. La mentalité des jeunes d’aujourd’hui diffère de celle des générations précédentes : les traditions et qualités humaines sont banalisées et surtout les transgressions publiques de la loi sont considérées comme des choses normales sans aucun remords, à condition qu’elles ne soient pas décelées, comme a remarqué M. Nguyen Phuc Dai, professeur de l’école Trung Vuong : « Quatre générations gâtées. L‘échelle des valeurs est renversée : avant tout, trouver beaucoup d’argent, goûter tout, jouir d’abord, n’être inférieur à personne, fouler aux pieds tous les autres pour pouvoir réussir… En résumé, le bon sens et la conscience sont banalisés. Le concept de la morale n’est pas semblable à celui des gens de notre temps. D’où les valeurs qui sont changées. On ne voit que son moi dans les relations avec les autres »[15]. Plus grave encore est la dégradation de la qualité des enseignants, des personnes du cadre (communistes) de haut niveau : par exemple, M. Luong Quoc Dung, ministre adjoint du Comité du sport, coupable du viol d’une enfant, a dépensé plus d’un milliard en monnaie vietnamienne (environ 70 000 dollars américains) pour courir les antichambres ; M. Pham sy Chien, vice-procureur, a été de connivence avec le criminel Nam Cam qui a fait trembler toute la population vietnamienne l’année dernière.

Les résultats d'une enquête réalisée par la section urbaine de l'Organisation de la Jeunesse, parmi les étudiants de 34 établissements scolaires: 25 universités, 5 écoles supérieures et 4 écoles spécialisées, nous permettent de dresser l'image actuelle des étudiants de Ho Chi Minh-ville, image dont on peut penser qu'elle persistera jusqu'à l'an 2010, au moins. La vision globale (9 284 sur 10 000 étudiants ont donné une réponse) que l'on en retire n'est guère encourageante et devrait nous faire réfléchir : 

a)    Volontariat : un environnement qui favorise une bonne formation

On constate que si 47,2% des étudiants ont participé aux différentes activités bénévoles, il n’y en a cependant que 31% parmi eux qui soient conscients que le volontariat est un bon environnement pour la formation de l’homme. 8% avouent qu’ils participent à ces activités pour… se distraire. Pour des raisons diverses, 49,4% se tiennent en marge de ce mouvement de volontariat, ce qui pose un problème important sur la mentalité des jeunes.

b) facteurs essentiels de la vie

Une autre question sur les différents critères de la vie sociale : 2 190 étudiants, soit 23,6%, ont affirmé qu’avoir un idéal dans la vie est la valeur la plus importante ; 15, 2% sentent le besoin d’avoir un savoir étendu ; cependant, il n’y en a que 10,4% qui considèrent la justice comme la valeur la plus importante. On apprend ainsi que moins d’un quart seulement des jeunes poursuivent un idéal dans la vie et que des futurs leaders banalisent cette qualité humaine la plus importante qu’est la justice. Rien d’étonnant de lire dans les journaux la dégradation de la qualité des enseignants, des personnes du cadre comme M. Luong Quoc Dung ou de M. Pham sy Chien… cités plus haut.

 

Valeurs sociales les plus importantes

pourcentage

Avoir un idéal

23,6%

Un savoir étendu

15,25%

Paix

11,5%

Justice

10,4%

Utile à la société

8,5%

Richesse

3,5%

Pouvoir

2%

Renommée

0,4%

c)     Ce que l’on désire faire dans la vie après les études

44,9% aimeraient trouver un travail qui s’accorde avec leur spécialité ; 19,8% considère que le salaire élevé est plus important que leur spécialité. Il n’y a que 5% qui s’adonnent volontairement à servir les gens dans les provinces retirées.

Comment sortir de cette crise de dégradation des enseignants qui entraîne la déformation des jeunes depuis trente ans ? C’est une grande question que les autorités ont beaucoup discuté sans pouvoir trouver une solution facilement.

Le système éducatif vietnamien pourrait sortir de cette crise et dégradation à partir du moment où la démocratie serait rétablie et où maîtres et élèves auraient la possibilité de développer leur pensée et leur créativité, et le pouvoir de maîtriser leur avenir, où les intellectuels seraient respectés, et où des hommes de valeur ne seraient pas rejetés.

Pourquoi ce sujet ?

Événement de 1975.

Est-ce un déchirement douloureux de voir tous les 23 établissements des Frères transférés vers d’autres dirigeants ?

Est-ce un désespoir de voir un grand nombre de Frères partir massivement pour l’option d’une autre vie ?

Est-ce déjà la fin de l’Institut des Frères en voyant la plupart des Frères abandonner leur métier d’enseignant ?

Ou est-ce une chance offerte aux Frères de redécouvrir leur identité selon l’esprit d’origine de leur Fondateur ?

Toutes ces questions difficiles sans une réponse claire et adéquate m’ont tracassé pendant plusieurs années après ce grand événement de 1975. À partir de 1976, quand je n’étais plus enseignant, je me trouvais plus « dans la rue » que dans la maison pendant la journée, pour chercher de quoi vivre. C’était à cette époque-là que je croisais tous les jours des marchands ambulants pauvres ayant quelques gâteaux de riz dans leur panier, des jeunes gens qui transportaient 100 kg de charbon de bois par bicyclette, accomplissant 80 à 100 Km pendant la nuit pour les livrer à Saigon (le nom ancien de la ville perdure sauf dans les appellations officielles) tôt dans la matinée ; des familles entières se traînant dans la rue ; des enfants en âge scolaire plongeant dans l’eau extrêmement polluée du fleuve de Saigon pour récupérer quelques ferrailles ou des sacs de plastique pour la survie de leur famille ; des gamins circulant partout dans la rue, s’empressant d’inviter les passants à acheter des billets de loterie, des cartes de souvenirs, des journaux et aussi des « matières blanches » (héroïne, cocaïne), ne refusant pas non plus de voler à l’occasion, ce dont je fus moi-même victime plusieurs fois. L’approche de la misère de ces adultes et enfants pauvres a fait luire en moi un chemin possible, quoique encore très vague, pour vivre notre vocation.

Je percevais vaguement que la perte des écoles ne met pas fin à la mission éducative des Frères. Le problème consiste à trouver des possibilités de s’insérer dans la société là où les jeunes et les pauvres ont soif d’ « éducation pour vivre en homme ». Pendant mon séjour en France pour avancer dans mes études universitaires, j’ai commencé à essayer de mettre au clair ce que j’avais analysé dans mon mémoire de maîtrise de 1997, intitulé « Enfants de la rue à Ho Chi Minh-Ville ». La suite de cette réflexion continue à se manifester dans le mémoire pour le D.A.R.E. en 1998, intitulé « Éduquer, une mission impossible? ». Ces deux mémoires peuvent être considérés comme la préparation ou le commencement de cette thèse.

Ainsi, cette présente recherche a pour objectif de me convaincre qu’à présent, l’important est de redécouvrir l’identité originale de l’Institut et de la concrétiser dans cette situation d’un pays socialiste : le Vietnam. La mission des Frères, qui est l’éducation humaine et chrétienne, doit prendre racine dans le charisme du Fondateur et c’est pour justifier cela que je vais présenter longuement les défis de cet homme.  Pendant que tout le monde dans mon pays pense que l’Institut des Frères a perdu son identité quand leurs écoles ont été nationalisées et quand ils ne sont plus appréciés par les autorités, la solution n’est pas de rester là à attendre le moment propice de récupérer les établissements scolaires perdus mais il faut oser avec créativité « prendre la responsabilité de nos vies. Nous devons être disposés à prendre nos vies à l’envers, si nécessaire, pour recommencer à zéro. Nous devons être disposés à faire demi-tour, si c’est cela qu’il faut faire, et à partir dans une autre direction » [16].

Moyens favorables à l’éducation

Évidemment il est vrai que l’école est un environnement favorable, un moyen privilégié de l’éducation. Et dans la vie courante au Vietnam, quand on dit « aller à l’école », cela signifie implicitement et populairement qu’on se rend à un établissement d’enseignement général, de la classe maternelle à la terminale et plus. Mais, «pour le sociologue, l’école est d’abord une institution qui remplit des fonctions globales d’intégration et de mobilité sociale. L’autonomie relative du système d’enseignement justifie cependant que l’on s’intéresse aussi à son organisation interne, à la spécialité de son action, qui consiste à transmettre, dans le cadre d’une programmation délibérée, des ensembles de connaissance, de compétence et de dispositions aux jeunes générations, ainsi qu’aux attentes et aux pratiques des différents acteurs sociaux concernés par son fonctionnement.»[17]

Comment définir une institution ?

« Au sens général, une institution est une composante concrète d’une société réelle en opposition avec les éléments analytiques du système social conçu comme instrument d’analyse de toute société possible » (Parsons 1951). Plus précisément, une institution consiste en un ensemble complexe de valeurs, de normes et d’usages partagés par un certain nombre d’individus. […]. On peut, d’après lui (T. Parsons 1951), définir comme institution toutes les activités régies par des anticipations stables et réciproques entre les acteurs entrant en interaction. »[18] L¢interactionnisme symbolique, comme tout un pan de la sociologie anglo-saxonne, insiste sur les liens entre les identités et les institutions. Les valeurs d’une institution marque les acteurs au delà de ce qu¢ils supposent.

Le champ de l’éducation est donc bien vaste et n’est pas limité à une école au sens strict. Depuis 1975, toutes les écoles ont été nationalisées car le gouvernement, croyant avoir le monopole de l’éducation, formait des personnes au socialisme. Tous les enfants et jeunes en l’âge scolaire ont le droit de venir à l’école gratuitement selon les lois vietnamiennes socialistes. C'est la détérioration des conditions économiques qui a poussé des responsables à opérer en ce domaine une révision déchirante : l'abandon de la gratuité scolaire en 1986. En effet, depuis longtemps, celle-ci a été présentée à la population comme un acquis définitif du socialisme, qui ne serait jamais remis en question.

Depuis le « renouveau » de 1986, le système se desserre peu à peu. Quelques Congrégations de Sœurs commencent à s’insérer dans le monde de l’éducation par la voie des classes maternelles qui fleurissent de plus en plus nombreuses chaque année, de telle sorte que ce moyen d’éducation existe dans presque toutes les Congrégations féminines dans le pays. Mais il s’arrête là. Jusqu’à présent, aucune Congrégation n’a obtenu l’autorisation d’ouvrir une école d’enseignement général, du primaire à l’Université.

Bien que les journaux aient parlé beaucoup de « socialiser l’éducation », c’est-à-dire que désormais le gouvernement « favorise et encourage les sociétés et individus à participer au développement de l’œuvre de l’éducation »[19], et que des écoles « fondées par le peuple » et privées commencent ainsi à renaître, cependant les demandes des personnes, en tant que religieux et religieuses, sont toujours jusqu’à présent mises de côté. Quand ils déposent le dossier, une réponse très aimable leur sème un espoir d’attente qui pourtant ne devient pas une réalité. Le dossier est silencieusement rejeté.

Faut-il rester toujours là pour attendre le jour J où l’on traitera tout le monde à part égale ? Sûrement non ! Nous avons « manqué le train » depuis trente ans en restant là à attendre. Le moment propice s’offre rarement. Il faut le chercher. Il faut le créer.

L’administration gouvernementale a fait cependant cette distinction : toutes les écoles d’enseignement général publiques et privées ou fondées par le peuple, du primaire au second cycle, s’adressent au bureau du Service de l’Éducation et de la Formation tandis que d’autres formations le font au Service du Travail des Invalides de guerre et de la Société. Cette catégorie de formation regroupe des centres de formation professionnelle, des « maisons ouvertes », des « foyers chaleureux », des centres pour les infortunés, pour les patients du SIDA à la dernière étape, etc.… D’autres maisons officieusement ouvertes par-ci et par-là accueillent des jeunes filles accidentellement enceintes pour éviter l’avortement… Cela indique que l¢on peut jouer sur les interstices du système…

Comme Bernard Charlot l’a défini : « Apprendre pour se construire a un triple processus : devenir homme, devenir un exemplaire unique d’homme, devenir membre d’une communauté dont il partage les valeurs et où il occupe une place ». L’école est un champ des plus favorables pour assurer le développement de la personnalité de l’individu et sa survie dans la société. Pourtant depuis les années passées, l‘école ne répond pas à l’attente des parents. La dégradation de la qualité d’un grand nombre des enseignants joue un rôle important sur la qualité de l’éducation, rôle qui sera abordé dans la première partie de cette recherche.

La lacune laissée par le système éducatif actuel au Vietnam m’a fait réfléchir sur le fait que l’école n’est pas forcément un moyen irremplaçable pour apprendre aux jeunes à « devenir homme ». C’est vrai que l’école est un milieu très favorable à une éducation complète telle que définie par Durkheim, Bernard Charlot et par d’autres auteurs et aussi par le gouvernement vietnamien : « Les objectifs de l’éducation consistent à former l’homme vietnamien dans un total développement en acquérant morale, connaissances, santé, esthétique et profession et en étant fidèle à l’idéal indépendant du peuple et du socialisme »[20].

De même, en relisant la Règle actuelle (1987) des Frères des Écoles Chrétiennes, nombreux sont d’autres chemins qui permettent d’atteindre ces objectifs de l’éducation : collaborer à l’animation de communauté éducatives (art. 12) ; les institutions lasalliennes se caractérisent par la volonté de mettre les moyens de salut à la portée des jeunes, par une formation humaine de qualité (art. 13) ; dans une attitude d’accompagnement, les Frères se rendent disponibles à tous et les aident à découvrir, à apprécier et à assimiler les valeurs humaines… (art. 13) ; dans le but d’amener leurs élèves à prendre en charge leur propre formation et de développer leur responsabilité sociale, les Frères leur attribuent un rôle actif dans toute la vie de l’institution, dans l’animation, la discipline et le travail (art. 13b) ; les Frères éduquent leurs élèves à une attitude critique face à la société contemporaine, en particulier face aux mass-media et aux nombreuses ressources technologiques qui font partie du monde d’aujourd’hui (art. 13c) ; par une insertion réelle dans le milieu où ils travaillent, les Frères s’efforcent de mieux en comprendre les aspirations profondes (art. 15) ; ouvrir les jeunes à la vie, au sens des responsabilités, à la connaissance et à l’amour (art. 15c) ; pour réaliser cette finalité, les Frères favorisent la collaboration et l’enrichissement mutuel entre tous les membres de la communauté éducative. Ils aident chacun à remplir son rôle spécifique : jeunes, parents, éducateurs…(art. 17b) ; les Frères collaborent, selon l’esprit de leur Institut, avec ceux qui relèvent dans l’Église ou la société, l’éducation, la pastorale des jeunes, la formation au sens de la justice, l’utilisation des mass media, l’insertion des jeunes dans la vie sociale et professionnelle (art. 17d) ; Les Frères s’appliquent à connaître, à respecter et à assimiler les valeurs positives de l’héritage culturel des peuples où ils sont insérés et qu’ils sont appelés à servir (art. 18) ; ils mettent au point des méthodes éducatives visant surtout à la promotion des milieux populaires (art. 39) ; les Frères ont toujours en vue la promotion de la justice […], ils y travaillent directement par l’éducation des économiquement pauvres, des victimes de l’injustice sociale, des délinquants et des exclus de la société. […] Les Frères accordent une attention spéciale à ceux de leurs élèves ayant davantage de difficultés scolaires et de problèmes personnels ou souffrant d’inadaptation sociale ou familiale (art. 40) ; Animés du désir de permettre aux pauvres de vivre dans la dignité […], les Frères feront preuve de CRÉATIVITÉ pour répondre à ces nouveaux besoins (art. 41).

Cette créativité mentionnée dans la Règle se traduit chez les Frères depuis trente ans et surtout dans ces dernières années. En ouvrant un centre de formation professionnelle par exemple, les Frères visent le but de créer :

- un environnement sans cesse renouvelé pour répondre aux besoins des jeunes d’aujourd’hui ;

- un environnement prioritaire favorable à la qualité de l’enseignement et à la portée des stagiaires ;

- un environnement de formation en établissant un parallèle entre le métier et la conscience professionnelle ;

- un environnement sans distinction de classe sociale et de religion.

- un environnement ouvert à tout le monde, spécialement aux jeunes et moins jeunes en difficulté.

Ainsi, la formation de la conscience professionnelle occupe la première place dans cette formation. Chaque semaine, les enseignants réservent une vingtaine de minutes pour rappeler les principes de bases des qualités humaines et prennent des mesures fermes pour apprendre aux élèves à respecter la discipline.

De même, dans les classes d’affectation (classes gratuites pour les enfants de la rue), les enseignants répètent tous les jours, les formules de politesse : dire merci, bonjour, pardon… Les enfants de la rue sont « sauvages », a remarqué une enseignante, au premier contact. Mais, après trois mois à avoir appris à vivre en équipe, à l’exercice assidu dans ces classes, le progrès est visible.

À la demande des parents, quelques communautés des Frères à Saigon, à Ban mê Thuôt (sur les hauts-plateaux au sud du centre du Vietnam) et à Nha Trang logent des garçons qui viennent à la ville pour continuer leurs études secondaires ou universitaires. En dehors des heures de classes dans les écoles extérieures, les Frères les aident à revoir les leçons et surtout à « devenir hommes ». En confiant leurs enfants aux Frères, les parents répètent ce refrain qui alourdit leur responsabilité d’éducation : « Nous n’avons pas de temps pour l’éduquer » ou « Il se rend toujours au point d’Internet pour les jeux électroniques » ou encore « Ils n’écoutent personne à la maison » comme si les Frères pouvaient faire des miracles.

Certaines activités organisées autrefois dans les écoles des Frères sont peu à peu reprises : mouvement des jeunes étudiants catholiques (JEC), réunions des enseignants catholiques, autres activités périodiques organisées à l’occasion des fêtes de mi-automne, Noël, nouvel an lunaire, consultation et distribution des médicaments pour les pauvres ou les montagnards. Étant éducateurs, nous y visons toujours un but éducatif. Par exemple, avant la consultation, en attendant la préparation des docteurs, nous profitons de cette occasion pour dire aux gens comment faire pour éviter la maladie, garder l’hygiène – toutes sortes de questions de base inconnues des paysans – car prévenir vaut mieux que guérir.

En envisageant ainsi le rôle de l’éducateur, nombreuses sont d’autres petites activités de cette catégorie, à condition que l’on ose accepter son caractère aléatoire, persévérer et sans cesse garder un esprit créatif, infatigablement. Quelques personnes d’esprit conservateur m’ont demandé, d’un air sceptique, la durée de mes œuvres. J’ai répondu à tous la même réflexion : « Ce que j’ai créé, répond aux besoins des jeunes d’aujourd’hui. La durée de son existence m’importe peu. Demain, s’il ne répond plus à l’attente des jeunes, c’est moi qui le fermerai le premier ».

Durkheim a affirmé que l’éducation est un des trois métiers les plus difficiles[21]. Plus difficile encore quand on cherche à vivre son métier d’éducation hors d’école. Sans école, l’éducateur doit aller chercher les acteurs dans tous les coins de la ville pour former un « groupe d’individus » qui partagent « un ensemble complexe de valeurs, de normes et d’usages ». En tant que religieux, s’insérer dans ce domaine n’est pas un chemin sans obstacles, ce que j’étudierai plus loin dans la troisième partie.

Comme l’indique Auguste Conte, il n¢existe jamais de méthode détachée de l¢objet, il est nécessaire de rappeler que notre objet concerne une congrégation dans un pays où elle est parfois persécutée. On ne peut pas collecter de la même manière des informations dans un contexte dangereux ou pacifique. L¢ethnographie de l¢éducation ne cesse d¢affirmer que faire du terrain nécessite des bricolages tant épistémologiques que méthodologiques

Méthodologie du travail

a) entretiens avec des membres de la congrégation

Je me suis livré pendant ces trois années de recherche à de nombreux entretiens plus ou moins formalisés avec des acteurs concernés. On trouvera en annexe la retranscription des entretiens les plus significatifs. Cette présente étude doit donc son existence tout d’abord :

1 – aux différents entretiens avec d’anciens élèves avant 1975

2 – entretiens avec des jeunes non scolarisés chez les lasalliens ;

3 – des Frères qui s’attachent encore à l’Institut jusqu’à ce jour ;

4 – des ex-Frères qui vivent en France et au Vietnam ;

5 – des jeunes qui ont opté pour la vie des disciples de Jean-Baptiste de La Salle malgré les difficultés de la situation actuelle.

6 – des Frères lassalliens d’autres pays.

La qualité de ces entretiens est bien la matière première de ma thèse. Je n’ai peut-être pas toujours su retranscrire les paroles dans mon travail mais elles m’ont obsédé dans ma recherche. Pierre Bourdieu indique dans ses travaux que les acteurs ne disent pas la vérité sur la place de la société mais l’école de Chicago affirme que toute place dans la société se repère d’abord par la parole. Ainsi, on ne comprend rien à la subtilité des persécutions d’un régime politique si les acteurs ont encore peur de parler.

Il ressort essentiellement que ces entretiens individuels sont centrés sur 3 points principaux : Identité – abandon – mission d’aujourd’hui.

-     Identité : redécouvrir l’image d’un Frère – enseignement et éducation – Frères et écoles,

-     Abandon : raison de quitter (pour les ex-Frères) et de choisir la vie des Frères (pour les jeunes aspirants),

-     Mission : moyens de vivre la mission des Frères malgré l’impossibilité d’ouvrir des écoles.

b) approche du terrain

C’était une nécessité professionnelle et éthique, et cela m’a aussi permis de faire de l’analyse comparative spontanée. Depuis mon retour de France, je me suis lancé dans les différents milieux de vie en cherchant certains interstices permettant de m’insérer dans le domaine de l’éducation. J’en ai trouvé beaucoup et grâce à eux je suis arrivé à ouvrir d’abord des classes d’affection en l’an 2000, un centre de formation professionnelle à Dong Thap (sud-vietnam) en l’an 2003, une école privée du primaire à Pleiku, sur les hauts-plateaux en 2004. Et en cette année 2005, un autre centre de formation professionnelle a reçu l’autorisation officielle le 12 avril 2005 au nom des Frères qui à travers cette activité sont officiellement et visiblement « reconnus » depuis 30 ans d’ « absence » et un nouveau centre de rééducation pour les toxicomanes est inaugurée au mois d’août 2006. Celle-ci est fondée en collaboration avec un ancien élève, selon un chemin « sinueux » et plein d’obstacles qui est développé dans la troisième partie.

Je n’oublie pas l’effort et le courage de mes Frères cherchant de leur mieux à trouver une place généralement officieuse ou officielle dans la société pour vivre notre vocation : donner des cours de langues, s’occuper des pensionnaires, ouvrir un institut de pédagogie et de théologie au Scolasticat, des classes d’apprentissage de couture et de réparation à Hue…

En même temps, je découvre l’initiative d’autres groupes sociaux en visitant différents centres de congrégations religieuses et de bouddhistes : centre d’accueil des malades du SIDA à la dernière étape des Sœurs des Filles de la Charité, hospice des vieillards abandonnés tenu par des bouddhistes à Tay Ninh (situé environ à 80 kilomètres de Saigon), celui des Sœurs des Amantes de la Croix de Caimon (au sud du Vietnam), centre pour les toxicomanes « Thanh Da », à Binh Thanh, Ho Chi Minh-ville. De même, je suis allé au Cambodge à la fin du mois de décembre 2004 pour enrichir mes expériences.

De ces différentes approches de terrain, j’ai constaté l’amélioration de mon rapport à ma problématique et de surcroît, l’expérience me montre que le chemin le plus favorable pour rencontrer des acteurs est l’organisation des activités sociales : consultation et distribution des médicaments pour les pauvres dans certains quartiers de Ho Chi Minh-ville ou dans les villages lointains, ce que j’ai réalisé en moyenne une fois par mois. On peut comprendre que, dans un pays pauvre, un chercheur qui se montrerait détaché des contingences matérielles ne parviendraient pas à obtenir des informations. Ma thèse est donc bien aussi une recherche action.

c) utilisation d’enquêtes officielles

J’ai utilisé dans ce travail des enquêtes officielles du gouvernement, des enquêtes du centre lasalliens et celles d’organismes internationaux. Dans ma logique d’une posture qualitative, les résultats chiffrés sont là essentiellement à titre d’exemples et non pas de vérité. Ainsi, ils m’ont été particulièrement utiles :

- un autre rapport publié dans le journal « Jeunesse » le 2 mars 2005 sur 10 000 étudiants dans les 34 écoles et universités (25 universités, 5 écoles supérieures, 4 écoles secondaires spécialisées). Plusieurs critères différents sur les valeurs sociales y sont abordés. Un résultat modeste est assez frappant : 2 190 étudiants, soit 23,6%, reconnaissent que la valeur sociale la plus importante est de viser un idéal pour la vie.

d) enquête personnelle

On verra en annexe le questionnaire que j’ai envoyé. Plus de 130 sont revenus. Ce qui indique bien l’intérêt des questions identitaires soulevées.

- rapport du « sondage » sur 150 personnes à partir de 20 ans de toutes les catégories et classes sociales.

- un autre rapport du « sondage » sur 620 étudiants et élèves au sujet de « tricherie ». 578 réponses sont obtenues.

e)  usages des documents 

Toute approche de terrain nécessite de ne pas se laisser piéger par les affects. Pour prendre de la distance et permettre une rupture avec l’opinion, comme l’a proposé Gaston Bachelard, il est nécessaire de passer par l’érudition livresque. J’ai ainsi lu de nombreux ouvrages en vietnamien ainsi que les textes concernant ma congrégation d’appartenance. Le fait sans doute d’avoir mené ce travail hors de France ne m’a pas toujours permis de citer les auteurs les plus contemporains en sciences de l’éducation ni d’ailleurs la pensée sociologique développé dans les séminaires de l’école doctorale de l’Institut catholique de Paris.

1 – Les documents officiellement publiés au Vietnam ainsi que ceux de l’Institut ;

2 – les Lettres pastorales des Supérieurs généraux, les Actes du Chapitre du district du Vietnam… occupent une place importante et crédible dans cette recherche ;

3 – la littérature pédagogique disponible pour moi ;

4 – les revues, articles de presse et usage d’Internet ;

f) Tenue de différents journaux de recherche et d’observations

Au cours de ma maîtrise et de mon D.A.R.E., j’ai été amené à écrire plusieurs moments de mon histoire de vie que je réutilise dans ce mémoire puisque je fus tout à la fois – et c’est le danger de ma démarche – observateur et acteur très impliqué. La tenue des journaux m’a aidé à prendre de la distance avec le traumatisme de l’histoire.

g) L’art de conversation

Les sociologues américains dans un logique très pragmatique observent que la meilleure source d’information reste les rencontres informelles dans les trains, les cafés, la rue, etc.… Pendant ces trois ans de recherche, je n’ai cessé d’évoquer ma thématique avec des gens qui, au départ, n’étaient pas concernés, y compris ainsi avec des officiels du régime en place.

3- Présentation de la logique interne du mémoire

À partir de la collecte des données, j’ai entrepris de faire une analyse se composant de 3 parties :

a- La première partie cherche à faire ressortir la véritable image d’un éducateur selon les définitions des grands auteurs, des sociologues et des écrits de M. de La Salle et à évaluer le monopole du système éducatif vietnamien depuis 30 ans en me basant sur les opinions de grands personnages sur ce sujet d’actualité brûlante qu’est l’éducation.

b- La deuxième partie poursuit le but de trouver une vraie cause de la sortie massive des Frères devant tant d’épreuves dont la plus grande fut la perte des écoles et de la personnalité juridique du religieux qui n’est pas reconnue.

c- La troisième partie consiste à essayer de revivifier l’image d’un Frère lasallien dans un pays socialiste en tâtonnant des chemins permettant de s’insérer dans le monde de l’éducation. C’est une question de vie ou de mort pour l’existence des Frères au Vietnam.

Maints exemples concrets parsemés tout au long du texte servent à la fois à illustrer le raisonnement et à montrer l’authenticité de cette situation complexe. Comme l’indiquait Monsieur Cesbron, toute intelligence du social doit passer des faits pour aller aux idées, puis revenir aux idées pour aller aux faits. Dans une démarche, le dialectique de cette démarche ne se fait pas d’une manière linéaire. C’est sans doute le reproche que l’on peut faire à mon travail de fournir de si nombreuses descriptions. Mais ces dernières indiquent la réalité des situations et permettent de saisir la problématique.

 

[1] Frères scolastiques: des Frères qui ont fini leur probation  s’apprêtant à partir pour la mission.

[2] Frère ALBAN, FSC, Histoire de l’Institut des Frères des Écoles Chrétiennes, p. 325,  Roma, 1970.

[3] Idem. p. 777

[4] Idem. p. 778…

[5] Philippe Cabin et Jean-François Dortier, La Sociologie – Histoire et idées, Sciences Humaines, 2000, p. 135.

[6] Idem.

[7] Patrick Tapernoux, Transversalités, De L’ISP, Janvier-mars 2004, p .22

[8] Patrick Tapernoux, Transversalités, De L’ISP, Janvier-mars 2004, p. 21

[9] Idem.

[10] Idem.

[11] Idem.

[12] Idem.

[13] Idem.

[14] Philippe Cabin et Jean-François Dortier, La Sociologie – Histoire et idées, Sciences Humaines, 2000, p. 137

[15] Annexes A, page 15, ligne 436…

[16] Frère John Johnston, Lettre Pastorale 1994, p.17.

[17] Raymond Boudon, Philippe Besnard…, Dictionnaire de Sociologie, Larousse, 2003, p. 74.

[18] Idem., p. 126

[19] Règles de l’éducation, Art. 11, Hanoi, 1991, art. 11

[20] Règles de l’éducation, Art. 11, Hanoi, 1991, art. 2.

[21] Trois métiers les plus difficiles selon Durkheim: Gouverner, soigner et éduquer