Conclusion

En rappelant la définition de l’éducation et en cherchant à situer la mentalité des jeunes et des moins jeunes vietnamiens, une manifestation de la perte du sens de l’honnêteté s’est dévoilé. La tricherie, le mensonge règnent dans la vie sociale et dans les écoles, tandis que l’honnêteté, la confiance – qui sont des qualités et des critères estimés pour apprécier un homme – sont oubliés.

Jusqu’où mènent ces « maladies des résultats », ces faux rapports ? Et pourquoi ont-ils imprégnés l’esprit des gens et des responsables de tout niveau ? Le hic du problème est de choisir des hommes, d’oser prendre la responsabilité et le courage d’éliminer des membres incompétents chez qui naissent des actes « négatifs » et des fléaux sociaux.

Dans le monde éducatif, la base de l’éducation depuis des générations repose sur la pratique et le développement des qualités humaines telles que le respect d’autrui et de soi-même, la responsabilité, l’honnêteté… Le respect d’autrui et de soi-même empêche l’homme de faire le mal, l’amène à vaincre son avidité malgré la pauvreté. L’homme honnête ne trompe personne, pas plus ses supérieurs que ses inférieurs. Il ne flatte qui que ce soit, ne s’avilit devant personne. Le fonctionnaire ne peut plus être corrompu, le juge vilipendé.

Le respect d’autrui et de soi-même ne permet pas à l’homme d’assumer une responsabilité s’il n’en est pas compétent. Il a toujours le courage de reconnaître ses lacunes et n’assigne pas la faute aux autres pour se justifier.

Nous apprenons tout cela d’abord dans la famille et ensuite à l’école et dans la société. Dans la situation actuelle du Vietnam, l’école occupe une place très importante dans l’éducation des enfants car, la plupart du temps, ils vivent à l’école. Cependant, après une longue période d’une trentaine d’années, l’éducation vietnamienne n’accomplit pas ce qu’on est en droit d’attendre d’elle.

À l’entrée de toutes les écoles un slogan occupant toujours la première place résume ce qu’un élève doit apprendre en venant à l’école : « On apprend d’abord la politesse, les lettres après ». Autrement dit, l’enseignant doit assumer une double responsabilité : enseigner les lettres et former l’homme. Dire que les enseignants ne visent que l’enseignement des lettres est un peu exagéré et douloureux, mais la « récolte éducative » révèle une partie de cet état.

Même dans les écoles normales, où l’on forme des maîtres spécialisés, des élites, les professeurs ont inculqué dans l’esprit des étudiants que l’enseignement va de pair avec l’éducation. Mais on n’a jamais abordé les questions de l’itinéraire à suivre, du programme à enseigner ou des méthodes à appliquer. C’est vraiment un problème difficile pour un enseignant d’accomplir sa fonction de former un homme.

Apprendre pour savoir, apprendre pour pratiquer, apprendre pour vivre ensemble, apprendre pour devenir homme, sont les buts de l’enseignement qu’a formulés l’UNESCO.

La réalité nous montre que nous, les vietnamiens, ne prenons pas au sérieux l’éducation des élèves à la citoyenneté. C’est pourquoi, des choses « négatives » sont survenues dans les écoles, du primaire et du secondaire, ce qui influe gravement sur la vie future dans la société. Les journaux le montrent clairement. Ce n’est pas une douleur concernant seulement les parents mais c’est aussi un tracas pour toute la société.

Il est vrai que dans l’ancien temps, « le système d’éducation et la famille transmettaient à l’enfant puis à l’adolescent des valeurs qui faisaient plus ou moins l’objet d’un concensus »[1]. Il est vrai qu’aujourd’hui « ni la famille ni l’école ne sont plus guère en mesure de transmettre de valeurs »[2]. Il est vrai qu’hier on se contentait «  d’appliquer les principes qu’on avait acquis au cours de la socialisation familiale et scolaire »[3]. Il est vrai qu’aujourd’hui, « en raison de l’accélération du changement social, l’individu doit découvrir bien des valeurs sur le tas, et ne peut se contenter de mobiliser celles qu’on lui a enseignées dans l’enfance »[4]. Les jeunes arrivent ainsi non équipés dans la vie sociale et professionnelle qui les exige à s’adapter à chaque contexte social. Mais mettre l’accent seulement sur la formation afin de devenir des hommes socialistes sans faire aucune attention à la qualité de la personnalité, c’est une lacune très grande, irréparable. Si l’enfant apprenait à vivre honnête, franc, dès qu’il entre à la maternelle jusqu’à la terminale, comment pourrait-il vivre autrement plus tard dans la société, comment le phénomène de mensonge, de tricherie deviendrait-il « ordinaire », implicitement accepté par tout le monde et considéré comme « normal » ?

Si j’ai repris quelques reportages spectaculaires publiés dans les journaux vietnamiens et relaté un certain nombre de mes expériences personnelles, c’est tout simplement pour me rappeler et pour rappeler aux enseignants d’être dignes de leur titre « ingénieur des âmes ». Ce n’est pas non plus pour dire que cette jeune génération de l’avenir est totalement perdue et que l’ancienne génération était parfaite. Comme Agnès AUSCHITZKA l’a écrit : « Les enfants d’aujourd’hui se fichent de tout, ils ne respectent plus rien”, entend-on souvent à propos de cette génération qui serait, à en croire ses aînés, sans foi ni loi. Pourtant, de telles accusations ne datent pas d’aujourd’hui. Sous la plume d’Hésiode ou de Socrate, on peut en trouver de semblables, voire de plus sévères, à l’égard de la jeunesse de leur temps. Il reste que, derrière ces plaintes, on devine une inquiétude, une désespérance de nombreux adultes qui pensent qu’une vie qui n’est pas guidée, balisée par quelques valeurs morales est vouée à l’errance et à ses malheurs ».[5]

 

[1] BOUDON Raymond, Déclin de la morale ?, PRESSES UNIVERSITAIRES DE FRANCE, 2e édition, 2003, p.10.

[2] Idem.

[3] Idem., p. 11.

[4] Idem., p.12.

                [5] Agnès AUSCHITZKA, Education morale : la famille d’abord, La Croix, Paris, 25 mai 2004.