Chapitre 4 :

Époque de tâtonnement et de consolidation
(1985-1992)

Avant 1975, nous avions environ 200 juvénistes du niveau 6 (7e) à niveau 12 (terminale) répartis 4 maisons : juvénistes externes à Taberd (niveau 6 et 7), juvénistes internes à Thu Duc (niveau 8 et 9) et à Nha Trang (niveau 10 à 12). En 1975, toutes ces maisons ont été dissoutes. Une dizaine d’entre elles, s’attachant encore à la vocation, revenaient chercher le Frère Colomban qui les logeait à l’ancien Juvénat de Thu Duc. Mais en 1978, tout était balayé de nouveau, les Frères incarcérés, la maison confisquée. Certains juvénistes venaient de temps en temps voir le Frère Visiteur et ils n’ont reçu que cette directive : « Restez à la maison jusqu’au nouvel ordre ». L’avenir de l’Institut dépend du recrutement des nouvelles vocations. Mais pourquoi cette réponse négative qui est la source de cette longue interruption ? Est-ce que c’est parce que « Nous savons très bien que les causes de la baisse du nombre des vocations aujourd’hui sont multiples : déclin du sentiment religieux ou du moins du sentiment ecclésial ; prise en charge par le gouver­nement de tâches assurées autrefois par les insti­tuts religieux ; rôle croissant du laïcat ; baisse de l’estime du célibat ; diminution du nombre d’enfants etc. »[1]. Ou bien, du fond intime, je ne suis pas « très enthousiaste pour inviter les jeu­nes à nous suivre parce que nous sommes, nous-­mêmes, dans la confusion au sujet de notre rôle aujourd’hui. »[2] et ainsi je donne « aux jeunes, directement ou indirectement, l’impression d’être mal à l’aise dans notre vocation, d’être perdus, agités, craintifs ou découragés ». Comment pouvons-nous « attendre à ce que les jeunes soient intéressé à marcher sur nos traces » comme Futrel a écrit : « si les religieux, vivant ensemble, sont indubitablement malheureux, hostiles, peu portés au pardon etc..., ce groupe n’attirera personne »[3].

Plus de Juvénat, plus de noviciat, c’est-à-dire plus de nouveaux Frères jeunes. On attend « le moment propice ». Autrement dit, devant cette disparition des nombreuses communautés et de ce « moyen privilégié », le Frère Provincial ne savait pas comment expliquer à ces jeunes ce qu’est l’identité des Frères dans cette situation et comment les Frères vivaient les 3 dimensions caractéristiques de la vie lasallienne. On tâtonnait.

1- Noviciat

Après une dizaine d’années d’ébranlement et d’attente et aussi de longues « vacances », le nombre des « départs » s’abaissa[4] et la porte du « noviciat » fermée depuis une dizaine d’années, commença à rouvrir pour les 2 premiers novices en 1985 à Nha Trang. Tous deux sont partis pourtant pour l’Amérique quelques années. L’un d’eux rejoignit sa famille. Les 3 autres dont l’un a changé de direction, commencèrent leur « noviciat » en 1986 à Saigon. Le mot « noviciat » est mis entre guillemets pour exprimer que le « noviciat » de ces deux groupes n’était pas canoniquement légal. Les 2 premiers novices à Nha Trang ne vivaient pas dans un noviciat traditionnel, mais à la rigueur dans une communauté avec un ancien Frère directeur du noviciat. Les 3 novices à Saigon vivaient chez eux, venaient suivre des cours avec le Frère Visiteur après l’heure de travail. Pendant la journée, l’un des deux travaillait à l’hôpital tandis que les deux autres poursuivaient toujours leurs études universitaires. À une certaine réunion, les Frères conseillers remirent en question la formation de ces novices en suggérant la recherche d’une solution adéquate pour un noviciat et un scolasticat (une maison de formation après le noviciat) plus ou moins légale, ils reçurent cependant cette réponse du Frère Visiteur : « J’en assume la responsabilité et j’endosse les conséquences de cette décision ». Une réponse autoritaire qui manifeste pourtant la réticence du tâtonnement au plus profond du cœur. Mais, l’année suivante, un vrai noviciat a été rouvert à Tân cang, situé à 40 km de Saigon, avec 2 premiers novices et un scolasticat dans la communauté de Taberd avec 3 scolastiques en l’année 1986. Ce noviciat à partir de cette année-là, a été officiellement reconnu parmi les Frères mais restait à l’insu des autorités locales. Quelques jeunes qui venaient y vivre avec les Frères en quête de la vie lasallienne se déclaraient travailleurs de la terre pour ainsi obtenir l’autorisation de présence temporaire. Pour changer de domicile même temporairement dans un court délai, tout le monde doit demander l’autorisation d’absence là où son nom figure (chaque famille possède un livret familial où se sont inscrits tous ses membres) en indiquant clairement la durée et le lieu de son séjour avec un motif facilement acceptable. Une fois arrivés à l’endroit voulu, ils doivent venir se présenter à la police pour l’autorisation de résidence temporaire. Les autorités locales viennent contrôler leur présence de temps en temps à minuit et à l’improviste, surtout dans les communautés religieuses. Sans ce papier, des problèmes non souhaitables surviennent. Récemment, au mois de juin 2006, une communauté de 6 aspirants d’une certaine Congrégation nouvellement installée à Long Thành, même province de Dong Nai , a été dissoute par présence illégale. Parfois, il n’est pas facile de demander le papier d’absence pour plusieurs raisons soit parce qu’on habite très loin, soit parce qu’on ne figure sur aucun livret familial, donc on n’a pas de statut légal. En réalité, il y avait pas mal de cas de cette catégorie chez le noviciat des Frères. Comment faire pour éviter des ennuis en cas de contrôles ? La propriété est très grande : 4 hectares de terre à demi exploités. Le Frère Directeur a fait construire un refuge en paille sur la colline. À l’alarme des aboiements des chiens à minuit qui annoncent l’arrivée de la police, ceux qui sont conscients de leur illégalité, se lancent rapidement en dehors et s’éclipsent ainsi dans la forêt. Ce n’était pas le cas unique arrivé chez nous. On nous a raconté que dans une autre congrégation féminine de cette même province, les aspirantes « illégales » plongeaient dans une citerne pour s’abriter et les policiers ont découvert savates et sandales à son orifice d’ouverture ! Apparemment, on nous juge malhonnêtes. Mais sans cela, la procédure est nulle. On nous demande de tout déclarer, on exige de nous la qualité de personne juridique, mais personne ne nous la donne. Jusqu’à présent, après plus de 30 années de présence sous le régime communiste, aucune congrégation ne l’a officiellement obtenue.

Une petite parenthèse. La propriété de notre noviciat se composait de plus de 31 hectares avant 1975. Le même Frère Provincial a offert aux autorités 27 hectares en vue de collaborer avec les autorités dans le programme d’aider les pauvres. Comme toujours dans les autres domaines, personne ne sait si ces 27 hectares offerts accédaient vraiment aux besoins des pauvres. Mais nous voyons actuellement leurs propriétaires bouddhistes qui viennent voir les Frères pour essayer de négocier l’achat de notre propriété, la seule qui n’appartient pas à leurs adeptes. Les  bouddhistes et les chrétiens s’entendent bien dans le Vietnam contemporain, la discussion ici n’était en rien religieuse.

La vie était très dure. Frères, novices et jeunes gens habitant dans des chaumières devaient cultiver le riz et des légumes pour vivre, espérant pouvoir se suffire financièrement. Pourtant la moisson leur faisait cruellement défaut. Sans aucune autre ressource, l’allocation mensuelle de la part du Frère Provincial leur évitait la misère.

Les chaumières n’ont pas résisté aux années. Les jeunes des environs commencent à connaître les Frères. Ils y viennent et voient. Une petite lueur de l’avenir vint éclore. L’étape de tâtonnement céda lentement à celle de consolidation. Un nouveau bâtiment sans étage en forme de L et une petite chapelle ont été construits en 1987. Une dizaine d’années après, un autre bâtiment s’éleva pour former un U finissant ainsi le plan général de la maison. Le corps professoral est stable, le programme de formation bien établi. L’humble noviciat des Frères des Écoles Chrétiennes a trouvé sa place. Il reçoit tous les ans 5 ou six jeunes qui suivent l’itinéraire de Saint Jean-Baptiste de La Salle.

2- Nouvelle période

1986 : 6e Congrès du Parti, lancement de la nouvelle politique de rénovation

1987 : accueil des premiers touristes.

1991 : rétablissement des relations diplomatiques avec les États-Unis. Normalisation des relations avec la Chine.

Après ce « renouveau » de 1986, viennent ensuite la levée de l’embargo américain (1994) et l’entrée dans l’Association de l’Asie, les investisseurs étrangers, « dragons » asiatiques en tête, se sont rués à l’assaut au Vietnam. Tout est à reconstruire. L'ancien Saigon et son vaste quartier chinois de Cholon en demeurent la locomotive : “un taux d'expansion de 14,5% en 1994 au lieu de 8,5% à 8,8% de moyenne nationale” (Le Monde 21 Janvier 1996). Certes, on imagine l'horizon de gratte-ciel qu'a offert et offrira le centre de cette métropole depuis ce tournant de l’histoire.

Avec ce renouveau, comme le système s’est desserré prudemment et lentement, les gens ne risquent plus leur vie en quittant le pays par boat people. Les vietnamiens possèdent cette très bonne qualité de pouvoir travailler dur et mener avec résignation une vie même misérable à condition d’avoir un peu plus de liberté. Cette mentalité imprègne plus ou moins dans tout le tissu des vietnamiens, y compris les Frères. Leur vie tourne donc la page, comme leurs compatriotes, et ils profitent de ce renouveau pour reprendre petit à petit leurs activités de Frères : enseignement, catéchèse, présence aux jeunes.... En limitant l’époque de tâtonnement et de consolidation de 1985 à 1992, cela ne veut pas dire que les Frères ont cessé toutes leurs activités. Au contraire, la réponse typique du Frère Hoang Thai représente la situation de plusieurs autres pendant l’attente d’un “moment propice” : « Vous aviez cherché quelque chose à faire en vue de tâtonner de réaliser votre rêve ? »

« HT : Quand il y avait moins de travail dans l’entreprise, je m’engageais dans d’autres activités que je jugeais opportunes et conformes à l’esprit de l’Institut : enseignement du catéchisme à la paroisse, exercices de chants pour la chorale, cours supplémentaires aux enfants pauvres du quartier »[5].

Ou celle du Frère Gustave Diep Tuan Duc, « en attendant patiemment un moment plus propice pour reprendre le métier d’éducateur »[6]:

« En arrivant dans un nouveau milieu social parmi des gens qui sont mes proches et à la fois communistes, j’y vivais en observant l’entourage et en donnant un bon exemple d’une vie honnête, en aidant les gens à élever leur niveau d’études ». [7]

Ou celle du Frère Guillaume Nguyen Phu Khai :

« Je cherchais à vivre notre vocation en collaborant avec l’église paroissiale en enseignant le catéchisme, en aidant les orphelins d’une petite pagode »[8].

Cependant, ce n’étaient que des initiatives personnelles. Chacun cherchait par lui-même un travail, une manière à lui de vivre sa vocation en tiraillant chacun de son côté sans une orientation, ou organisation officielle au niveau du District sans avoir besoin non plus de l’accord du Frère Provincial. Ces initiatives sont excellentes mais « replâtrées »[9] comme l’a exprimé Frère Guillaume. Les supprimer ? On ne le peut pas parce qu’en soi, il n’y a rien de mauvais. Une solution assez douce qui est née, demande « l’authentification du Frère Provincial ou de la communauté » pour ainsi dire transformer cette initiative personnelle en celle de la communauté ou du District, événement de la fin des années 80.

Voici leur champ d’actions en cette période de tâtonnement au niveau du District :

1- cours de religion et de pédagogie catéchétique

“Les Frères participent aussi à la pastorale de l’Église locale, comme catéchistes, comme formateurs, ou animateurs de chrétiens appelés au service de la catéchèse”[10].

Plus que jamais les Frères observent ce point de Règle. Autrefois, occupés du matin au soir par le travail d‘école, ils collaboraient avec l’Église locale d’une autre manière en enseignant le catéchisme en général dans l’école : préparation à la première communion, à la confirmation, au baptême des catéchumènes… D’une part, après 1975, ce “moyen privilégié” qu’est l’école n’existe plus. D’autre part, l’ordre officiel est donné qu’on n’enseigne la religion que dans les locaux de l’église. Dans toutes les paroisses, les cours de catéchisme existent et les curés font appel aux religieuses, aux mères de familles, aux jeunes gens ou adultes pour les aider. Répondant à cet appel urgent, plusieurs Frères s’inscrivaient pour devenir membres du corps professoral catéchétique de la paroisse. Cependant, beaucoup de jeunes pleins de bonne volonté manquaient de la formation doctrinale et pédagogique adéquate. C'est pour répondre à ces besoins que les Frères ont lancé des sessions courtes de pédagogie catéchétique. Ces sessions durent trois mois à raison de deux heures par semaine. Plusieurs sessions ont eu lieu, suivies en moyenne par deux cents à trois cent personnes. Comme le catéchiste doit pouvoir dessiner, décorer... des ateliers ont été créés pour les initier. Le grand nombre d'inscrits montre qu'ils répondent à un réel besoin. Dans ce domaine, il faut faire l’éloge du Frère Casimir Phan Van Chuc et du Frère Aloysius Do Van Lien, nos deux pionniers. Pour comprendre un peu leur mérite, et combien ils étaient à la fois audacieux et courageux, il est bon de savoir que pendant ces années-là une réunion de plus de 10 personnes exigeait la permission des autorités locales. Evidemment, ils ne la demandaient pas. Ces cours étaient donnés dans les locaux même de Taberd. Où trouver une salle assez large pour loger ces 200 à 300 personnes ? Pour résoudre ce problème difficile, Frère Casimir a fait couvrir un coin de la terrasse sur le 4e étage. Et les documents, comment faire? L’usage de la ronéo exige aussi l’autorisation du gouvernement surtout pour la publication de documents religieux. Et c’est sûr qu’on n’obtiendra jamais cette autorisation. Le Frère Aloysius a fait ronéotyper clandestinement tous ces documents de leurs cours sur la pédagogie catéchétique pour tous les stagiaires. Ce nombre de copies n’était pas petit. Le prix à payer pour toutes les fautes possibles mentionnées ci-dessus, valait au moins une dizaine d’années d’incarcération ferme si elles étaient découvertes ! Et ils ont accepté cela à l’avance. Ces deux Frères n’ont pas pu continuer leur œuvre à cause de leur âge avancé. Frère Casimir, paralysé, se repose actuellement à la maison de retraite des Frères à Mai Thon. Frère Aloysius est décédé l’année dernière après quelques années de vie dépendante d’un chariot roulant. Ce que les Frères regrettent encore aujourd’hui, c’est que, sans héritier, nous n’avons personne qui continue cette œuvre inachevée. En effet, beaucoup d’autres s’engagent dans ce domaine en collaborant, d’une manière différente, avec les curés de plusieurs provinces pour organiser de courtes sessions pédagogiques aux catéchistes. D’un certain point de vue, on peut dire que ces deux Frères ont tâtonné pour retrouver un chemin et les jeunes Frères le mettent en évidence.

À côté de ces formations pédagogiques, le Frère Vital Nguyen Huu Quang a pris l’initiative, en collaborant avec des sœurs et prêtres compétents, d’ouvrir des cours de vacances pour religieux et religieuses pendant tout le mois de juillet. Cette initiative est multipliée par l’organisation d’un scolasticat interreligieux actuel.

2- cours de rattrapage et de langues

Depuis 1975, comme des gens de condition modeste, tous les Frères qui sont en bonne santé, exercent un petit métier pour vivre : travailler la terre, fabriquer des objets d'art, élever des poulets, des chèvres, des champignons, des abeilles... Autant de Frères, autant de métiers. Mais, étant anciens enseignants, donner des cours particuliers leur parait le métier le plus pertinent. Le seul inconvénient est que chacun organise les cours à son gré et surtout ramasse l’argent pour son usage personnel, ne contribuant au budget communautaire que par une petite somme, juste pour la nourriture. Il est vrai qu’il y a des Frères qui, pour diverses raisons, ne trouvent pas suffisamment d’argent ce qui devient pour eux un souci permanent qui les accable à la fin de chaque mois. Il est vrai aussi qu’il en existe d’autres, peu nombreux, qui par des moyens divers se débrouillent bien pour mener une vie aisée. Mais dans tous les cas, un esprit de stockage pour « prévenir » l’avenir est né et s’enracine assez profondément dans l’esprit avec le temps. Il est difficile de le déraciner et il est contraire à la Règle : “les Frères vivent simplement, comme les gens de condition modeste, mettant tout en commun”[11]. Conscient de ce danger, le Frère Visiteur a essayé de regrouper ceux qui sont compétents pour organiser des cours de langue d’anglais portant le nom “classes De La Salle” dont le Frère Joseph Lê Thành Tôt a été nommé président. Ces classes sont à demi réussies car certains Frères aiment rester au statu quo et restent indifférents à cet effort de restructuration. Ces premières classes De La Salle ont vu quand même le jour à Taberd et Frère Léon Lê Ba Dzung et Siméon Pham Quang Tung s’en occupent. Elles sont organisées d'une manière structurée depuis 1995 lorsque M. Hiêu proposa sa collaboration pour ouvrir un centre de langues portant le nom “Nguyen Truong Tô”. Il a de jour en jour affirmé sa place et se développe d’année en année jusqu’à ce jour. Des cours de rattrapage de mathématiques, de sciences, d’écriture pour enfants sont organisés de manière éparse et “authentifiés” ou non par la communauté. Pourtant un point commun qui en ressort est le tarif volontaire de la contribution en fonction de la condition familiale de chaque élève, sans distinction de religion et de classe sociale.

3- mouvement de jeunesse

Dans chaque école des Frères avant 1975, « tous les dimanches matins, un groupe de jeunes Frères volontaires s’en vont s’occuper des jeunes à Taberd, Chanh Hung, Thanh My (scoutisme)... » [12]. Les membres des autres mouvements de jeunes regroupaient dans la cour pour différentes activités : Coeurs Vaillants, JEC (Jeunesse Étudiante Catholique), Action Catholique... Ils participaient aux activités caritatives telles que visite aux réfugiés pendant le temps de guerre. Parfois ils ont passé quelques jours avec les réfugiés, en logeant dans une baraque, dormant même à même sol, vivant par leurs propres moyens, animant les enfants, coupant des cheveux, distribuant des remèdes. Fête de la mi-automne organisée pour les enfants de la ferme. Kermesse de Noël organisée pour les écoles du primaires. Excursion pendant quelques jours avec les étudiants de l’Institut de Culture Humaine et Religieuse. Stage des jeunes Frères pendant les grandes vacances...

La plupart de toutes ces activités avantageuses cessèrent pendant une dizaine d’années. Se sentant une soif d’accompagner les jeunes, Frère Vital Nguyen Huu Quang, à son initiative personnelle, réunissait une fois par semaine, dans les locaux de Taberd, un petit groupe pour leur transmettre le savoir-vivre, un peu de théologie et de philosophie, la manière de prier.... Ce groupe se nommant MIGUEL organisait aussi régulièrement la fête de Saint Jean-Baptiste de La Salle le 15 mai. Des participants y venaient en participer de plus en plus nombreux. Vers l’an 1987, le Frère Provincial a « authentifié » cette initiative et a considéré cette fête comme le « Jour Traditionnel du District ». À partir de cette année-là, c’est le District qui assume la responsabilité d’organisation de cette fête qui continue jusqu’à nos jours.

C’était aussi à Taberd qu’est né le mouvement de JEC grâce à l’initiative du Frère Bonaventure Nghia, membre aussi de la communauté de Taberd. Tout d’abord quelques jeunes viennent à lui, tout simplement en quête d'un sens pour leur vie, ou à la recherche des relations plus humaines. L’idée vint dans sa tête “pourquoi ne pas faire revivre le mouvement de JEC pour aider ces jeunes ?” Mais en l’an 2000, quand Frère Bonaventure est envoyé à Nha Trang pour une nouvelle mission, par désaccord avec son successeur, ces jeunes ont “divorcés” avec les Frères de Taberd et ont trouvé une autre place pour se réunir. Mais il n’y a pas lieu de le regretter car la JEC de Taberd a son héritier, la JEC de DUC MINH qui célèbre bientôt son 12e anniversaire.

En tant qu’enseignant dans l’école du gouvernement, Frère Bonaventure était soucieux de ce qui pouvait être fait afin d’aider ses collègues catholiques. Coup d’essai, coup de maître : après longue réflexion, il réussit à réunir environ 70 enseignants catholiques et à célébrer une messe d’entrée à l’intention de leurs élèves en priant pour eux et leur famille afin de passer une année de paix et de succès. Cependant, cette initiative ne dura pas longtemps.

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Il est rare de trouver des Frères agissant comme ces deux Frères à cette époque. Il leur fallait une personnalité très forte, une ténacité de fer et une obstination faisant fi de tout, parce qu’ils devaient faire face à toutes sortes de difficultés venant de tout côté. D’une part, toutes ces sortes de rassemblement n’étaient pas autorisées par le gouvernement. D’autre part, il fallait essuyer les critiques ou les attitudes indifférentes des confrères qui craignaient d’être “compromis” en cas d’ennuis causés par les autorités.

École primaire du Hameau Huê

Discrètement et lentement, les Frères entrent dans l'éducation scolaire au cœur de cette petite école nommée "Hameau Huê".

Situation géographique : Situé à 50 km au Nord-Est de Saigon, le Hameau comprend une trentaine de familles venues du Centre du Viêt-nam (d’où le nom Huê) et installées là depuis 1968, vivant de la culture du manioc. Une centaine d'enfants d'âge scolaire ne fréquentent pas l'école. D'une part, l'école publique est assez éloignée (3 à 4 km), d'autre part, elle n'est pas gratuite. Aussi, les enfants sont-ils laissés à l'abandon. De jeunes gens, en quête de vie religieuse lasallienne, y viennent une fois par semaine faire le catéchisme et organiser des jeux pour les enfants. Deux fois par an, à la Noël et à la mi-automne, a lieu la Fête des enfants avec activités, distribution des cadeaux.

Un ancien élève des Frères de Huê, a eu l'idée de faire quelque chose pour les enfants défavorisés. Il fait part de ses idées aux Frères et à d'autres personnes du Hameau. Quelqu'un offre un terrain 100 m². D'autres fournissent des bambous, des chaumes..., d'autres s'offrent à travailler bénévolement, chacun selon ses aptitudes : menuisier, terrassier... Par l'entremise des Frères, un bienfaiteur a donné des tables, des bancs et du bois pour faire des portes. C'est ainsi qu'en 1982, une maison de 3,50 x 8,00 mètres avec murs en torchis et toit de chaume s'élève au milieu de ce petit village pauvre, œuvre de tous.

En 1994, trouvant que la maison en torchis et en chaume ne durerait pas longtemps, grâce au Groupe de l'ANAI avec l'aide du Comité National d'Entraide, et aux dons des amis, l'école a reçu 20.000 francs pour modifier ce projet.

Le Frère Dosithée Nguyen dê Nghi, représentant des bienfaiteurs, est responsable de ce projet. Il appartient au comité directeur de l’école et semble être très apprécié par le corps enseignant et avoir gagné la confiance des autorités locales. Il a réussi à obtenir l’autorisation de reconstruire une petite chapelle nommée “Chapelle de saint Joseph”.

Il garde ce poste pendant 10 années en pensant que sa place est irremplaçable car il tient la bourse des bienfaiteurs en payant le traitement des enseignants. Cependant, le jour J imprévu est arrivé quand même. Les autorités ont annoncé qu’elle n’ont plus besoin du Frère Dosithée. C’était en 2002. Cela fut un vrai choc pour ce Frère qui a sacrifié tout son temps pour le profit de ces enfants démunis. Mais malgré tout, il a réussi à y construire une Chapelle, ce qui est considéré comme un succès satisfaisant .

Quelques autres activités recopiées, revues et corrigées de l’ancien temps pour être conformes à la situation actuelle :

- Animation des groupes de jeunes.

- Leçons de chant aux jeunes aveugles, de Karaté aux petits sourds-muets.

- Journées de l'Enfant organisées par les novices et les scolastiques.

- cours de vacances gratuits dirigés par les Postulants.

- organisation de visites aux hospices de vieillards, aux léproseries, aux orphelins …

4- Formation professionnelle

J'abandonnai mon métier d'enseignant à partir de l'année 1976, une année après la libération de Saigon. Pour pouvoir survivre, j'ai exercé environ une dizaine de métiers différents : fabrication d’objets d'art, puis de stores en bambous dans une collectivité‚ élevage de poulets, culture de champignons, travail au chantier de construction, photographe itinérant.. . À un certain degré, je comprends les misères et la valeur des travaux. Surtout pendant les années où j'étais travailleur au chantier et photographe itinérant, la rencontre des enfants en âge scolaire qui devaient travailler pour survivre, m'a fait beaucoup réfléchir. "Il faut faire quelque chose pour eux", pensais-je et cela pourrait être le nouveau champ d'activité‚ dans ce régime communiste pour vivre mon identité de Frère. C'est vers l'an 1989, avec la collaboration de deux autres Frères, spécialistes en mécanique, que j'ai inauguré une première classe de formation professionnelle dans la communauté La San Duc Minh. Cette classe se composait de 15 élèves pauvres confiés par des prêtres et sœurs ou des personnes de connaissance. Pour l'équipement, j'ai vidé tout l'argent de mes économies‚ pour monter un petit "atelier" de travaux pratiques à partir de zéro. C'est grâce à l'aide des amis, des anciens élèves lasalliens dans le pays et à l'étranger que cette classe se consolide peu à peu et se développe jusqu'à ce jour.

La parole de Kouang-Tseu, (Chine 4e-3e av. J.C.) me tenait à cœur et devenait la maxime de la classe :

"Si tu donnes un poisson à un homme, il se nourrira une fois.
Si tu lui apprends à pêcher, il se nourrira toute sa vie."

Première étape : Les premières classes d’apprentissage ont vu ainsi le jour à la fin des année 80 visant à pourvoir les jeunes d'un métier et en même temps à les former à la conscience professionnelle. Au début, il comprenait quatre sections : réparation de vélomoteurs, tournage, électricité domestique et tuyauterie. Parce que ces classes étaient clandestinement ouvertes, à titre d’essai, les portes étaient refermées tout de suite après l’entrée des stagiaires. Le policier du quartier était au courant, mais fermait les yeux. Elles furent fermées cependant après deux ans de fonctionnement par la visite du personnel du fisc en attendant l’autorisation officielle. C’était à la fin de l’année 1991.

 Seconde étape : Depuis août 1992, date de l'autorisation officielle, il ne restait au programme que la section de réparation des vélomoteurs et d'informatique. Vers juin 1994, deux nouvelles sections ont vu le jour : menuiserie et sculpture sur bois. Une année après, vers avril 1995, encore un nouveau cours fut inauguré : moulage des petites statues en plâtre. Après la formation, les stagiaires peuvent rentrer chez eux ou chercher un emploi auprès d'un particulier. Certains qui n'arrivent pas encore à trouver un point d'attache, peuvent rester travailler dans l'atelier.

Ces cours sont donnés gratuitement et prioritairement réservés aux pauvres, aux enfants de la rue et aux sourds-muets. Les Frères et les professeurs s'efforcent de les aider, d'affiner leur talent tout en gagnant leur vie et, en même temps, de créer et d’entretenir l’ambiance familiale et fraternelle dont ils ont besoin.

Les cours d'informatique sont payants. Cependant, un grand nombre d'élèves fréquente ces cours grâce au tarif réduit accessible à tous. Ceux qui sont financièrement en difficulté, peuvent quand même suivre ces cours gratuitement.

La fréquentation nombreuse de ce centre montre qu’il répond bien aux besoins actuels de la société. Son train-train journalier ne rencontra aucun obstacle spécial à relater. Il gagna une totale confiance du personnel directeur du centre de formation professionnelle du 3e arrondissement jusqu’au jour J...que j’aborderai à la troisième partie : sa troisième étape. Quand on passe d’une étape à une autre, comme ce fut le cas, un certain  déchirement mène parfois  à un résultat inattendu.

5- Nouvel horizon : l’approche de l’informatique

Un grain de sénevé semé au hasard dans la terre

Pendant les vacance de 1988, un parent d’élève apporta à la communauté de Duc Minh un petit ordinateur et demanda au Frère Philippe Lôc de s’en servir pour apprendre à son fils à l’utiliser. Après quelques semaines de recherche, il en a découvert la puissance merveilleuse et a suggéré aux Frères de la communauté de demander à un ancien élève de venir les guider dans ce nouveau domaine. Huit Frères de la communauté de Duc Minh et de Taberd ont suivi ce premier cours d’informatique. M. Nguyen van Tuan, devenu actuellement prêtre, neveu d’un Frère, nous a initiés à la programmation dans le langage Basic.

Quelques mois plus tard, ce parent d’élève s’est installé en Amérique. Le Frère Philippe demanda au Frère Visiteur Maurice Trieu, par mon intermédiaire, d’acheter cet appareil à un prix de 2/10 tael d’or (environ 100 USD à l’époque). Le Frère Maurice donna son accord tout de suite accompagné d’un grand étonnement de ce bas prix. Cependant, ce parent d’élève nous a fait cadeau de cette somme pour l’achat des livres nécessaires à l’étude de ce nouveau domaine. À partir de cet événement, le Frère Maurice nous encouragea à dresser un projet pour le présenter aux Frères vietnamiens à l’étranger, espérant une certaine aide.

En 1987, Le Frère Humbert Vu Van Cuong[13] est rentré au Vietnam pour la première fois depuis 1975 (décédé en France le 05/11/1998, à l'âge de 75 ans, a l'hôpital Bichat, Paris, en cardiologie). Il nous a dit en rigolant qu’il « vient en holocauste pour préparer le chemin aux autres Frères » ! Et c’est vrai que vers le 22 mai 1989, le Frère Paul Lê Cu rentrant au Vietnam, apporta avec lui un ordinateur XT avec écran EGA et une imprimante à 24 aiguilles LQ-500 qu’il avait utilisés pendant son stage en informatique en France. Cependant, à l’époque, le mouvement d’utilisation d’ordinateurs demeurait très nouveau au Vietnam. C’est pourquoi, tous ces appareils ont été gardés à l’aéroport Tân Son Nhât à Saigon. Grâce à la connaissance d’une douanière, j’ai pu m’arranger pour récupérer ordinateur, imprimante et accessoires le 25 mai 1989, le jour où la maison de retraite des Frères à Mai Thon s’est écroulée au fond du fleuve de Saigon, causant la mort par noyade de 5 Frères âgés, à 1 heure du 25 mai 1989.

Les premiers jours de classe (Photo, p. 239)

Après l’installation des appareils, le Frère Paul nous donna quelques premières notions d’informatique en présentant quelques démonstrations pour nous convaincre de sa merveilleuse puissance. Cette première classe se composait de toutes catégories de tout âge y compris le Frère Visiteur. Bien que tous ces premiers « informaticiens » ne poursuivirent pas l’informatique plus tard, grâce à cette initiation, nos Frères ont pu ouvrir les yeux sur ce nouvel horizon. C’était vraiment un grand sacrifice pour Frère Paul car il a travaillé avec nous pendant 3 semaines de suite sans avoir beaucoup de temps pour visiter sa famille après une très longue absence. Les Frères vietnamiens rendent hommage à sa fraternité et à son mérite pour avoir anéanti leur ignorance .

Alors commença une nouvelle période après le départ du Frère Paul. Pour ne pas laisser éteindre la flamme encore brûlante, nous avons invité des professeurs civils à venir nous aider en MS-DOS, FOX BASE, DBASE 4, ASSEMBLER, langage C et C++, réparations des ordinateurs... Chaque cours atteignait le nombre de 20 à 30 personnes. Les travaux pratiques furent répartis sur ce seul ordinateur qui fonctionnait de 7 heures du matin à 22 heures et parfois tard dans la nuit (Photo, p. 240).

Voyant que l’usage de l’informatique était de plus en plus répandu, le Frère Maurice a acheté en plus 2 ordinateurs XT et 2 imprimantes FX-1050 au mois de décembre 1989.

Le grain de sénevé a germé

Après d’une année de travail assidu, les Frères pionniers étaient sûrs des notions fondamentales. Les jeunes désiraient en prendre connaissance et avaient recours à eux. Les premiers cours d’informatique dirigés par les Frères sont nés ainsi discrètement et toujours sans autorisation. Aux vacances et au mois de décembre de 1990, deux cours spéciaux ont été offerts aux Frères, avec comme programme de base : MS-DOS, Sidekick, VNI, NORTON, PCTOOLS, MS-WORD. Pendant ce temps le Frère Visiteur avec l’aide de M. Nguyen Hoang Dong et d’un ancien élève de Duc Minh a acheté un nouvel ordinateur AT-286 avec disque dur 40MB.

Le grain de sénevé a grandi

Chaque année, aux grandes vacances, les religieux et religieuses de tout le Vietnam convergent à Saigon pour différentes formations théologiques, pédagogiques, catéchétiques... Profitant de cette occasion, le Frère Vital Quang a présenté à cette assemblée la puissance et l’avantage de l’informatique... en promettant une proche session d’initiation. Un nombre inattendu a répondu à cette invitation. C’était au mois d’août 1992. Le grain de sénevé a ainsi peu à peu grandi. Grâce à l’aide de l’Institut et des Frères vietnamiens à l’étranger, la salle de pratique est bien équipée : nouveaux ordinateurs AT-386, scanner, imprimante LASER IIIP... Des jeunes sont venus en formation de plus en plus nombreux. Des Sœurs, des prêtres venus de tout le Vietnam pour s’initier à ce nouveau domaine. Les autorités sont venus aussi, non pour l’apprentissage mais pour demander si j’avais obtenu l’autorisation d’organiser ces cours. La formation fut interrompue en attente d’un « moment propice ». Des personnes sages m’ont conseillé de ne pas faire la demande d’ouvrir un centre indépendant, parce que ce serait absolument refusé à cette époque. Cependant, un chemin possible restait ouvert c’est que si je trouvais une personne de connaissance d’un centre déjà existant, elle pourrait m’aider à ouvrir son annexe. Suivant ces sages conseils et renseignements, j’ai fait la démarche et j’ai obtenu l’autorisation officielle pour la formation professionnelle vers la fin de l’année 1992. Désormais, les cours sont donnés officiellement au « centre de DUC MINH », annexe du Centre Professionnel du 3e Arrondissement de Ho Chi Minh-Ville. On n’a plus besoin de refermer la porte après la rentrée des stagiaires ! Bien que ce ne soit que son annexe, le centre DUC MINH était bien apprécié par la qualité des enseignants ainsi que l’équipement de la salle de pratique. Vers le mois d’août 1993, nous étions invités pour donner des cours au Centre Principal.

C’est ainsi que l’on a pu sortir du tunnel et, pas à pas, consolider lentement l’œuvre à peine éclose sans jamais savoir ce qu’on faisait à l’avance.

Fonctionnement pendant ce temps de tâtonnement

-       Grâce à l’ordinateur, le District a pu communiquer aux Frères certains documents de l’Institut ou de l’Eglise : livre de prières propres à l’Institut. C’était le premier travail tiré du programme VNI (avec l’accent vietnamien), imprimé sur stencils, paru pendant les vacances de 1990.

-       Aide aux travaux de l’élection du Frère Visiteur au 7e Chapitre du district 1991, programme écrit par Frère Jean-Marie Vân Hà à l’aide du logiciel FOX PRO.

-       Au fur et à mesure, d’autres documents de l’Institut furent aussi réalisés, après traduction en vietnamien : ensemble et par association, la Famille Lasallienne, Vie de Communauté, La Transformation...

-       Vers la fin de 1992, la Règle fut imprimée sous forme bilingue (français-vietnamien), mise en page par le logiciel VENTURA PUBLISHER PROFESSIONNAL, très répandu au Vietnam à l’époque.

-       Régulièrement, les ordinateurs aident le bureau central du District à imprimer les communiqués divers destinés aux Frères ou à les envoyer ailleurs.

-       Initiation à l’informatique pour un grand nombre de congrégations du Nord au Sud.

-       But de notre centre : recherche du travail pour nos stagiaires sortants. Un grand nombre parmi eux ont obtenu une très bonne place dans des entreprises, tandis que les Sœurs rendent un service incontournable à leur Congrégation..

6- Stabilisation des communautés

Comme nous l’avons dit, la révolution de 1975 sema un ébranlement d’esprit, créa une dispersion et une perte chez les Frères. La Règle de l’Institut et même de l’Église semble banalisée, invalide sous le régime des communistes. Par exemple, tous ceux qui ont émis leurs vœux perpétuels dans l’Institut doivent demander la dispense des vœux avant de sortir. Or le Frère Provincial a appris qu’un ex-Frère se mariera le lendemain sans avoir demandé la dispense ! Il est obligé de venir chez lui pour lui demander de la faire, accomplissant ainsi son devoir de chrétien. Ce n’est pas un cas unique. Ayant obtenu le doctorat aux États-Unis, le Frère Recteur de l’Université des Sciences humaines et religieuses y est reparti dans les premières années après 1975. À partir de ce jour-là, il n’a eu aucune relation avec l’Institut en menant la vie des laïcs. Il me semble qu ‘il a quand même rempli ce devoir de demande de dispense, avant son décès il y a quelques années. Un autre Frère, avant de quitter la communauté, est entré de manière louche dans la chambre de ses confrères et ramassé tout ce qui leur est « précieux » : argent, cassette, caméra... C’est vrai que pour la perte matérielle, nous pouvons la récupérer par l’effort de nos forces, mais celle des hommes et de l’esprit, il n’est pas facile d’y remédier quand cette situation s’éternise. C’est le cas de notre District.

- Plusieurs cuisines au sein d’une même communauté. Ceci se comprend à la fois au sens propre et au sens figuré. La Règle nous a enseigné : « La communauté est pour les Frères le foyer de vie. Ils y vivent ensemble. Ils y renouvellent chaque jour l’expérience de l’amitié, de l’estime [...], Ils aiment à partager les repas, les temps de loisirs et les divers services que nécessite la vie en commun »[14].

La réalité concrète se manifestait par le désir de se séparer lentement de la vie des Frères. Dans une communauté de 12 Frères dans ces années 80, s’installaient 3 cuisines à part. Une raison repose sur le régime alimentaire. Une autre sur la question d’argent : ne pouvoir trouver suffisamment d’argent pour contribuer au budget de la communauté pour la nourriture. Un autre cas assez caractéristique : ne contribuer à la communauté que juste avec la somme demandée pour la nourriture. Cependant, avant l’heure de repas, on vient au garde-manger, on prend sa part et on l’apporte dans sa chambre. Or, le repas est presque un moment unique de partage dans une communauté. Evidemment, il peut y avoir des raisons pour justifier l’absence, mais tôt ou tard ceux-là s’en détacheront. Ce problème ne se pose jamais, à cause des raisons données apparemment justes ci-dessus, par les personnes concernées. Mais avec une hardiesse suprême, selon l’ordre du Frère Provincial, ce détour est redressé et régularisé conformément à l’article 54 de la Règle : « Pour les Frères, la communauté est un foyer de vie... ».

- Retour à la vie communautaire. La vie communautaire est l’une des dimensions caractéristiques de la vie des Frères. Par des raisons diverses, un grand nombre des Frères vit hors de la communauté avec la permission du Frère Provincial comme il est exprimé par ce point de la Règle : « Ceux-ci (les Frères) se font un devoir d’y (communauté) résider habituellement et ne s’en absentent qu’avec la permission du Frère Directeur ou du Frère Visiteur. Pour une absence prolongée, on se conformera aux prescriptions canoniques »[15]. La situation du Vietnam dans les premières années après 1975 est un cas spécial. Pas de communication possible et en sécurité avec l’extérieur. Ayant reçu la permission du Supérieur Général, le Frère Visiteur à l’époque a pu tout décider ou résoudre tous les problèmes sans avoir besoin de son opinion, en particulier dans le cas de l’absence prolongée, les uns pendant 3 ans, les autres pendant plus d’une dizaine d’années soit pour aider financièrement leur famille, soit pour « garder » leur propriété, soit pour tout simplement attendre le jour J de quitter officiellement le pays ou par boat people. Et certains ont fait fi de la permission du Frère Provincial...

Le plan de régulariser tous ces cas a commencé dans les années 80. D’abord, tous ces Frères dits « absents » doivent « se rattacher » à une communauté traditionnelle la plus proche. Ils dépendent du Directeur de cette communauté et y viennent régulièrement pour partager avec la communauté prières ou repas selon l’accord avec le Frère Directeur. C’est la première étape. Vient ensuite la seconde étape : une nouvelle communauté est fondée qu’on appelle « communauté diaspora » ou « Duong Moi » (Rue neuve) se composant d’une dizaine de Frères qui vivent encore dans leurs familles à Saigon et banlieue. Cette communauté s’est dissoute peu à peu jusqu’en 1987. Les uns ont rejoint la communauté ou leur famille (sortie), certains autres sont partis pour l’étranger. Le problème s’est résolu ainsi, au cas par cas. Le dernier cas est un peu spécial mais a été réglé d’une manière très légère en 1988. F. Philippe Lôc a quitté la communauté de Taberd en 1976 en rejoignant sa famille pour travailler la terre à Long Khanh, à une distance de 70 Km de Saigon. Il existait un malentendu entre lui et le Frère Provincial. C’est pourquoi toutes les relations furent rompues entre lui et l’Institut. À la fin de 1987, un groupe de 8 Frères relativement jeunes à l’époque se rendent sur 4 motos jusqu’à son terrain où lui et ses frères cultivent le café, les plantes vivrières. Une visite tout à fait fraternelle sans aborder en rien la raison de son absence ni essayer de parler de son retour à la communauté. Une année après, pendant les vacances de 1988, il est revenu à Saigon et venu me voir en me présentant son désir de rejoindre les Frères de ma communauté après 12 ans de « vagabondage ». Il est décédé au mois de février de l’an 2006 parmi les Frères. Sur son lit de convalescence, il a fait cette confidence à celle qui l’a soigné, sur sa présence aujourd’hui chez les Frères « grâce à cette visite de cette année-là » et il donna ce conseil à cette fille : « des actes qui arrivent au juste moment peuvent sauver un homme ».

Cependant, il reste encore quelques cas illégaux qui persistent depuis 1975 jusqu’à ce jour et que je ne peux résoudre.

- Récollection mensuelle : le rassemblement de plus de 10 personnes est une cause d’ ennuis possibles de la part des autorités gouvernementales. Ainsi, ce point de Règle reste un souci permanent de la part des Supérieurs : « Les Frères participent chaque année à une retraite spirituelle d’une durée suffisante [...]. Périodiquement, ils prennent un temps de récollection dans les mêmes intentions. Les Districts et les communautés en règlent l’organisation »[16]. Pour garder la retraite annuelle, le Frère Visiteur et son conseil annuel s’arrangent de manière à ce que les Frères puissent y participer chaque année soit à Taberd, soit à Mai Thôn (maison de retraite des Frères). Un principe est communiqué entre nous : « On ne nous donne jamais l’autorisation. Donc, faisons ce que nous voulons. Si les autorités surviennent à l’improviste, nous répondrons que c’est notre tradition depuis longtemps ». Et c’est comme cela que la retraite annuelle continue sans interruption jusqu’aujourd’hui. Dans ces dernières années, chaque année, le Frère Visiteur envoie une « annonce » et non une « demande » au Service des affaires religieuses déclarant date, lieu et la liste des participants. Les négociations avec le régime nécessitent des approches subtiles et parfois sont empreintes d’un certain irréalisme. Les textes précisent les choses mais les applications sont très fluctuantes !

Conscient de la nécessité de la prière dans la vie religieuse et surtout de l’expérience de l’organisation de la retraite annuelle sans histoires fâcheuses, le Frère Visiteur a fait un second pas en lançant la Récollection mensuelle au 4e dimanche de chaque mois de 18 h 00 à 20 h 00 pour les communautés de Saigon et de ses environs. Les Frères y participant étaient peu nombreux au début. Mais, peu à peu, une grande partie des Frères s’y engagent. Vers l’an 1987, le Frère Provincial a fait appel à la générosité des Frères en se réunissant encore une deuxième fois, le 2e dimanche de chaque mois à la même heure pour la « formation permanente ». Ces organisations qui continuent jusqu’à ce jour, sont considérées comme une bonne réussite dans le plan de stabilisation.

- Mise en commun : C’est ici un problème assez difficile à résoudre. Il leur faut beaucoup de charité, d’abandon total et de générosité pour vivre ce point de Règle : « Les Frères évitent d’accumuler et marquent leur responsabilité en rendant compte de l’usage qu’ils en font »[17]. Comment ne pas accumuler lorsque l’avenir devant vous semble entièrement bloqué, alors qu’à présent, on trouve de l’argent ? Comment peut-on vivre ce point de Règle en « mettant tout en commun » quand ceux qui sont autour de vous ne travaillent pas apparemment et ne gagnent rien ? Pourquoi dois-je mettre tout en commun alors que l’argent est gagné à la sueur de mon front ? Que serai-je, qui s’occupera de moi, qui me nourrira le jour où je ne pourrai plus travailler, puisque la communauté est dans l’impossibilité de me prendre en charge ? Toutes ces questions posées sont tout à fait normales par rapport à la préoccupation commune d’un homme.

Dès le Chapitre du District en 1984, premier Chapitre après 1975, les Capitulants ont posé de nouveau la question de la mise en commun :

« Proposition 3 : En vue de parvenir à la mise en commun des biens :

a-     chaque Frère partagera largement avec ses Frères ;

b-     la communauté sera attentive à pourvoir aux besoins des Frères, dans la mesure de ses moyens (les moyens dont dispose la communauté lui viennent des contributions de ses membres)[18] ».

De même, le Chapitre du District en 1987 a repris cette proposition 3 qui est devenue Proposition 1, No 1 : « La mise en commun de l’argent ». L’approbation des Propositions du Chapitre de 1999 montre que la question de la “mise en commun” n’est jamais résolue : « Votre histoire en tant que District depuis 1975, vous a bien enseigné que la mise en commun des biens reste le lien fondamental pour une communauté religieuse ». En effet, la Règle demeure toujours vraie mais « nos habitudes, nos normes de comportement, ce que nous choisissons comme univers de tradition et bien évidemment nos valeurs sont des réfractions du social » et « la réalité communautaire (historique) peut toujours tout chambouler »[19].

Le sujet de la « mise en commun » fut abordé à maintes reprises sans avoir beaucoup de succès : dans les conférences des récollections mensuelles et retraites annuelles, dans les résolutions du chapitre du District en 1987 et en 1991. Le problème de la mise en commun ne se posait pas seulement aux Frères qui avaient gagné beaucoup mais aussi à ceux qui ne pouvaient pas se débrouiller pour trouver l’argent nécessaire. Ceux-ci sentaient une honte intime de leur maladresse. Certains répétaient souvent que dans cette situation « il n’y a que des personnes de forte personnalité qui puissent vivre ». Il est vrai que le travail « est et indique une place, une manière de se positionner dans le monde »[20]. Mais c’est vrai aussi que ceux qui n’atteignent pas une certaine maturité dans la vie (religieuse) oublient nos « premiers Autres significatifs », ce qui est l’objectif de l’éducation qui est « pouvoir vivre avec les autres ».

Comment résoudre le problème ? Chercher un travail qui puisse attirer les Frères à travailler ensemble ? Quel travail pourrait-il attirer les Frères et stimuler leur collaboration ? Quand on est déjà bien « positionné dans le monde », avec un salaire peu élevé, mais suffisant pour vivre aisément, qui osera abandonner son poste déjà stabilisé pour s’engager dans ce travail commun même éducatif mais précaire ? Ce sont les Frères de la communauté de Ba Ninh (Saint Bénilde) à Nha Trang qui, en 1985, surent saisir l’occasion en acceptant de loger les enfants qui fréquentaient des écoles à l’extérieur. En dehors des heures de classes, leurs parents les confiaient aux soins des Frères. Une nouvelle voie s’ouvrait. Voyant ce modèle intéressant qui est à la fois approprié à notre mission éducative et avantageux au point de vue de finance, les communautés de Duc Minh, à Saigon, de Ban Mê Thuôt commencèrent à recevoir de premiers pensionnaires. Comme les locaux des communautés n’étaient pas construits, les Frères eux-mêmes ne pensaient pas encore à ce genre de travail. C’est pourquoi, il existait des choses qui ne marchaient pas bien dans l’organisation. Cependant, après chaque année de travail, ils l’évaluaient et s’efforçaient de surmonter les difficultés. Le besoin des parents d’envoyer leurs enfants aux études dans les villes devint comme une mode, et de plus en plus grand. Aujourd’hui, presque toutes les communautés des Frères ouvrent des pensionnats : Ban Mê Thuôt : 250 internes du premier au secondaire cycle et une vingtaine d’étudiants ; Nha Trang : 30, du primaire au secondaire ; Duc Minh : 55, du premier au second cycle; Taberd : 40, étudiants ; Phu Tho : 40, étudiants. Un autre nouveau internat vient de naître cette année : la communauté de Phu Son, avec 15 premiers pensionnaires du premier cycle (photo, p. 241).


 

[1] John Johnston, Lettre Pastorale 1987, page 34.

[2] John Johnston, Lettre Pastorale 1987, page 35

[3] John Johnston, Lettre Pastorale 1987, page 34

[4] Voir le graphique à la page 4 du prologue

[5] Annexes, page 6, ligne 155.

[6] Annexes, page 11, ligne 313.

[7] Annexes, page 11, ligne 324

[8] Annexes, page 9, ligne 283

[9] Annexes, page 10, ligne 287.

[10] Règle des Frères des Écoles Chrétiennes, art. 15b.

[11] Règle des Frères des Écoles Chrétiennes , art. 32.

[12] Revue Lien Lac 1972, page 13.

[13] Professeur de l’Institut Supérieur Agricole de Beauvais (ISAB)

[14] Règle des Frères des Écoles Chrétiennes, art. 54.

[15] Règle des Frères des Écoles Chrétiennes, art. 55.

[16] Règle des Frères des Écoles Chrétiennes, art. 75d.

[17] Règle des Frères des Écoles Chrétiennes, art. 35a.

[18] Proposition 3 du 5e Chapitre du District.

[19] PATRICK TAPERNOUX, À propos d’une enquête sur des enseignants français…, page 128.

[20] PATRICK TAPERNOUX, À propos d’une enquête sur des enseignants français…, page 128