CHAPITRE I

MECANISME DE BLOCAGE FACE A L’ACCUEIL DU MONDE

index
1. Conception de l’autoriteù au Viet Nam
2. Conception de la discipline, de l’ordre au Viet Nam
3. Types de relations au Viet Nam
    a) Institutions sacrales
    b) Relations des petits groupes
    c) Conception de l’Homme

Nous lisons dans une "Lettre ouverte" non dateùe, eùcrite vraisemlablement aø la veille du deùpart de Mr. Fr. Nolting, ex-Ambassadeur des USA au Sud-Viet Nam, publieùe dans la revue vietnamienne "Haønh Trình", novembre 1964, reprise en partie par le "Delta", Janvier-Feùvrier 1965, ce passage, qui, sans reùfleùter l’opinion publique, ne manque pourtant pas d’inteùreât:
"... Nous sommes toujours preâts aø coopeùrer avec les chreùtiens. Le malheur est que les chreùtiens ne le veulent pas! Ils voudraient que nous leur ressembions et devenions comme eux!...Pour nous autres, Vietnamiens, embrasser le catholicisme signifie l’interdiction de rendre un culte aø nos Anceâtres, aø nos parents deùfunts, alors que cela est la chose la plus importante dans notre style de vie depuis des milleùnaires. Les Francais ont envahi notre pays et ont commenceù par reùpandre leur religion comme premier acte de Gouvernement...Certains chreùtiens sont des "meùtis", ils sont trop bizarres par rapport aø la socieùte vietnamienne, ils sont trop ridicules aø la penseùe nationale...Les jeunes Vietnamiens veulent savoir pourquoi il y a tant de diffeùrences entre le christianisme et leur culture.."

Enlevons le ton plus ou moins passionneù du au contexte politique du pays en ce moment-laø ("l’affaire bouddhiste" en 1963), mettons de coâteù le facteur "religion", nous verrons apparaitre au fond, une certaine reùticence, voire de la meùfiance envers l’ingeùrence eùtrangeøre dans la civilisation du peuple vietnamien, surtout lorsque cette ingeùrence s’attaque aux coutumes ou aø la mentaliteùs des autochtones.

Qu’on ne s’en eùtonne pas, car c’est ainsi que se manifeste la reùaction de toute socieùteù traditionnelle face aø l’appel des nouvelles valeurs.

Nous irons meâme plus loin: Nous nous sommes demandeù s’il ne s’agit pas laø aussi d’une toute premieøre deùmarche qui favoriserait son "passage" vers un monde pluraliste? Le Viet Nam, c’est une identiteù qui remonte et va se chercher dans l’indeùpendance. Sa "deùcolonisation" en 1945 n’est qu’une manifestation treøs claire de la constance et de la reùsurgence d’une personnaliteù collective, une personnaliteù qui ne peut se deùlivrer de l’autre qu’en devenant l’autre, ou du moins, en se faisant autre aø lui-meâme.

Or, dans l’eùtat actuel des choses, malgreù sa disponibiliteù, certains aspects de ses coutumes, de ses types de relations et meâme de sa vision particulieøre de l’homme et du monde pourraient constituer un "blocage" dans sa volonteù d’ouverture au monde moderne.

Nous allons eùtudier successivement ces trois "meùcanismes de freinage" afin d’en deùgager des incidences possibles dans le systeøme eùducatif vietnamien de demain.

Parler des coutumes, c’est tout d’abord penser au probleømes de mentaliteù aux conditions psycho-sociologiques auxquelles l’eùducation doit neùcessairement faire face:
Il ressort de notre analyse de la vision vietnamienne du monde qui preùceøde, qu’en deùpit des graves bouleversements des structures politiques, eùconomiques, culturelles, qu’elle a connu au cours de ce dernier sieøcle, la socieùteù vietnamienne plonge encore toutes ses racines dans un ancien systeøme d’ordre et de valeurs qui ne laisse une place bien exigue au "moi" de l’individu. Nous avons souligneù aussi que si le Viet Nam a reùussi aø maintenir cette stabiliteù aø travers les viscissitudes de son histoire, c’est certainement graâce aø la fideùliteù aux coutumes et traditions nationales.

Cependant, comme toute socieùteù, le Viet Nam est appeleù aø continuer sa marche vers un monde de mobiliteù. Or c’est justement aø ce niveau que se fait l’option pour le Viet Nam. Ses coutumes, il les gardera. Mais ne faudrait-il pas remettre en question certaines conceptions - du moins dans le cadre de l’eùducation - telles la conception de l’autoriteù et son corollaire, celle de la discipline et de l’ordre?

1. Conception de l’autoriteù au Viet Nam

Deøs son jeune aâge, le Vietnamien est eùduqueù dans une ambiance de famille de type patriarcal, dont l’autoriteù, l’obeùissance, le respect sont des soutiens les plus solides et les plus appreùcieùs.

R. Le Senne dans son "Traiteù de caracteùrologie", Paris, Puf 1959 p.494, pense que "pour l’ethnotype introverti - entendons le cas du Vietnamien - l’autoriteù est le principe de l’ordre. Rien d’eùtonnant aø cela. Les impeùratifs de la morale confuceùenne sont trop explicites pour qu’on puisse essayer de comprendre autrement.

Ce respect de l’ordre, renforceù par une eùducation assez autoritaire en famille et aø l’ecole, encadreù par un protectionnisme inconscient, a fortement contribueù aø faconner des individus priveùs de vie personnelle reùelle.

C’est ainsi qu’en classe, les professeurs rencontrent rarement chez les eùleøves vietnamiens des reùsistances ouvertes, meâme devant des reproches non justifieùs. Cela ne veut pas dire que ces jeunes n’ont pas de reùactions. Au contraire, on ne doit jamais se meùfier assez de l’eau qui dort: les remous inteùrieurs sont profonds et les sentiments d’antipathie ou d’aversion durent longtemps. Ces jeunes, blesseùs, se referment aø l’influence du maitre et la reùconciliation est parfois laborieuse; ils prendront rarement des devants pour se justifier, meâme s’ils sont dans leur droit.

Ici, un caracteùrologue averti nous expliquerait que l’explosiviteù est maintenue par la secondariteù, mais aussi par l’eùducation et la coutume: Comme ces jeunes "n’ont pas le droit" de parler quand on les reprend, ils ont l’habitude de garder le silence en face d’une injustice, quitte aø nourrir des sentiments violents contre ceux qui leur font du tort. La coutume reùprouve les manifestations bruyantes des sentiments personnels.

Quelquefois, des conversations deùbouchent sur un deùsaccord, l’eùtiquette veut qu’on cherche alors des "deùtours de phrases" des formes imageùes (noùi boùng baåy) pour faire comprendre aø son interlocuteur qu’on est loin de partager son point de vue. Mais s’il arrive qu’on est acculeù...alors, ce sera la rumination, le repli inteùrieur qui ne sont que des strateùgies d’attente, car on espeøre trouver toât ou tard une occasion pou "renvoyer la balle" aø son adversaire. Nous imaginons donc facilement ce handicap que peut rencontrer le Vietnamien s’il veut vraiment engager un dialogue ou reùaliser un travail en eùquipe.

Reùcemment, nous avons rendu visite au Directeur d’un Foyer d’Etudiants -en majoriteù vietnamiens- aø Paris. Dans notre entretien, ce dernier a laisseù eùchapper cette remarque que nous avons trouveù treøs pertinente: "Ils (les eùtudiants vietnamiens) sont treøs circonspects et discrets. Un certain mysteøre enveloppe leur conduite, et il est difficile de savoir ce qu’ils pensent" Reproche deùlicat ou reconnaissance d’une caracteùristique de race? Peu importe.

Ce qui nous inteùresse ici, c’est de savoir que le tempeùrament, et surtout l’eùducation, ont pour ainsi dire eùclipseù cette spontaneùiteù qu’on trouve plus facilement chez un ethnotype extraverti.

Ce comportement ci-dessus meùrite cependant une petite explication: En preùsence des eùtrangers, avant de se livrer, les Vietnamiens regardent, observent et jugent. Autrement dit, ils se tiennent sur la deùfensive. Ils ont de ce fait, l’air reùserveù et meâme tant soit peu meùfiant. Mais la glace est vite rompue s’ils trouvent de la sympathie ou de la compreùhension chez autrui. Avec eux, la meilleure conduite serait de prendre les devants et de les aborder en toute simpliciteù et cordialiteù.

Un deuxieøme aspect neùgatif de renforcement de l’autoriteù dans l’eùducation des jeunes Vietnamiens est ce manque d’initiative personnelle:
Le "paternalisme" qui caracteùrise le comportement geùneùral de certains eùducateurs ne favorise pas la formation de la personnaliteù des jeunes. Pour ces eùducateurs, il faut descendre dans tous les deùtails d’exeùcution d’un travail, preùvoir toutes les eùventualiteùs aø la place des jeunes qui n’ont plus que la possibiliteù de faire exactement ce que leurs maitres ont deùcideù.
Certains eùducateurs veulent y voir une preuve de deùvouement. Rien n’est moins certain si nous avons un peu de courage pour aller jusqu’au fond du probleøme...

Ce qui est sur, c’est que cette facon de "comprendre" le deùvouement laisse les jeunes dans une perpeùtuelle condition de mineurs. Une telle meùthode ne forme pas la conscience personnelle et l’auto-deùtermination des jeunes qu’elle livre ensuite deùmunis en face de la vie moderne qui fait de plus en plus appel aø l’option personnelle.
Ce "protectionnisme" aø son tour eùtouffe l’assurance et la confiance en soi. Les jeunes Vietnamiens ont facilement peur de se tromper, de ne pas pouvoir reùussir, et cela non pas parce qu’ils manquent de volonteù ou de capaciteù, mais plutoât parce qu’ils ont besoin d’un appui pour se tranquilliser et ne trouvent ordinairement une pleine assurance dans leurs actions que lorsqu’ils sont soutenus, encourageùs et aideùs.

Pour conclure cette rapide analyse de l’incidence de la conception de l’autoriteù dans l’eùducation des jeunes Vietnamiens, nous avons cru pouvoir eùclairer davantage notre point de vue en nous appuyant sur notre eùtude psycho-sociologique au sujet du climat eùducatif traditionnel et de ses conseùquences sur le caracteøre des jeunes Vietnamiens.

Nous avons trouveù que le climat dans lequel le jeune Vietnamien est eùleveù ne contribue pas beaucoup aø lui donner le sens du commandement. Ses relations vis-aø-vis de ses parents et supeùrieurs sont souvent contraignantes et peu eùpanouies. La morale confuceùenne habitue l’enfant aø consideùrer les parents et les maitres comme des eâtres transcendants en toutes choses. Eleveù dans cette atmospheøre, il ne peut pas ne pas avoir un certain complexe d’infeùrioriteù et ce complexe fait qu’il se sent "gauche" et embarrasseù quand il doit agir et parler devant un groupe de quelque importance: Nous avons fait eùtudier l’eùcriture de jeunes Vietnamiens par l’Institut International de Recherche Graphologique de Paris, et on nous a signaleù que pour l’ensemble, le sens du commandement est treøs faible.

Voici, aø titre d’exemple, le "Profil d’embauche" d’un Passionneù (EAS) Vietnamien:

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Voici l’interpreùtation de ce profil: En ce qui concerne le sens du commadement, voici pourquoi il est relativement faible: une faculteù, quand elle n’est pas exerceùe, ne peut pas s’eùpanouir. De meâme un organe quelconque du corps reste toujours faible quand on ne le deùveloppe pas par des exercices. Ainsi une aptitude mise en veilleuse finit par s’estomper. Comme les reùsultats graphologiques que nous avons obtenus concernant les jeunes qui eùtaient encore en tutelle et qui de ce fait, eùtaient soumis aø l’obeùissance et aø la discipline,

il est tout aø fait naturel que le sens du "commandement" reste au-dessous de la moyenne, car ces jeunes n’avaient jamais eu l’occasion d’exercer leur autoriteù. Heureusement qu’avec le temps, nous avons trouveù que ces jeunes, une fois entreùs dans la vie reùussissent fort bien dans les postes de commandement qu’ils occupent. La plupart d’entre eux "reùgissent" avec succeøs des classes nombreuses. Un bon nombre de ces sujets ont de lourdes responsabiliteùs et savent se faire obeùir.

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2. Conception de la discipline, de l’ordre au Viet Nam

Autoriteù et discipline sont deux notions inseùparables dans la mentaliteù de la plupart des eùducateurs vietnamiens. Pendant les 15 anneùes de notre preùsence dans un colleøge du Sud-Viet Nam, nous avions plusieurs fois l’occasion d’assister - et quelquefois d’organiser nous-meâme - des "Rentreùes des classes".
Des affiches, des pancartes, des slogans, tout est exploiteù pour "creùer l’ambiance" d’ordre et de discipline, pour donner un "pli" aux eùleøves comme ont disait. Naturellement, les eùcoles vietnamiennes ne sont pas les seules aø garder le monopole d’offrir de pareils spectacles, car, notre seùjour en Europe nous a aussi permis de "revivre" ces souvenirs que nous avions cru exotiques...

Notre intention n’est pas de porter un jugement de valeur sur ces proceùdeùs qui cependant ont deùclencheù en nous une remise en question: la conception de la discipline, de l’ordre dans l’Ecole vietnamienne aurait-elle besoin d’une orientation nouvelle?
Dans un rapport sur la situation d’un groupe d’eùcoles catholiques au Viet Nam (1968), nous avons lu ces lignes treøs courageuses: "Pour nous, il faut le reconnaitre treøs franchement, jusqu’aø preùsent, "eùduquer" c’est souvent synonyme de donner un certain pli, faire prendre des attitudes et des gestes exteùrieurs: ceux dont les reùsultats sont immeùdiatement treøs satisfaisants parce que spectaculaires (ordre exteùrieur, succeøs scolaires, comportement reùgleù d’avance..."
Ces quelques lignes se passent de commentaires, elles appellent cependant quelques explications:
Aiguilleùs dans le sens du respect de la hieùrarchie morrale et sociale, eùleveùs dans une atmospheøre contraignante (surtout dans nos familles catholiques!) ces eùducateurs ne peuvent pas s’empeâcher de marquer toutes leurs attitudes de cette rigiditeù et de ce conformisme qu’ils ont recus aø travers les "nueùes du Sinai" de leur religion plus ou moins mal assimileùe.

D’une telle conception de l’ordre et de discipline, naissent indubitablement un certain nombre de reùgulations heùlas trop strictes de nos institutions scolaires. Mais, ne faudrait-il pas aussi chercher l’explication de ce pheùnomeøne dans le manque de coordination au niveau de l’organisation de l’Education Nationale?
Personnellement, nous penchons volontiers pour cette hypotheøse, car depuis le grand essor culturel de 1956, nous avons constateù avec joie meâleùe d’une certaine appreùhension, un accroissement vertigineux dans les effectifs des eùcoles du pays. Les eùleøves affluent de partout. On ouvre des eùcoles, on multiplie des classes. Vu de l’exteùrieur, tout portait aø croire que l’Ecole vietnamienne va deùsormais acceùleùrer sa marche, sans soupconner pourtant au fond que c’est aø partir de ce moment que va se poser un grave probleøme: celui de la formation des maitres. Evidemment, un grand effort a eùteù reùaliseù dans ce domaine: 4 eùcoles normales fonctionnent reùgulieørement, des sessions d’eùteù de "recyclage" ont eùteù aussi organiseùes. Avec tout cela, le pays continue aø souffrir de la peùnurie flagrante de bons professeurs.

Un autre facteur contribue aø perturber plus ou moins les viseùes eùducatives de nos eùcoles: des classes trop nombreuses.
Devant un groupe de 60 garcons ou filles, certainement, malgreù eux, nos professeurs restent reùticents sur les meilleurs principes de l’eùducation aø la liberteù ou des soi-disant meùthodes actives. Non pas parce qu’ils reprochent aø ces meùthodes leur caracteøres d’importation eùtrangeøre et leur difficulteù d’adaptation au pays, car raisonner ainsi, c’est meùconnaitre la "marque de fabrique" commune que porte l’humaniteù tout en tieøre et qui, avant de se diversifier superfiellement, constitue d’abord des assises profondes de l’espeøce unique eùgalement porteùe au meâme bien, eùgalement travailleùe par les meâmes aspirations.

Si nos eùducateurs se sont montreùs reùserveùs devant le succeøs de certaines meùthodes eùducatives, c’est simplement par ce qu’ils sont lieùs par des conditions mateùrielles, et peut-eâtre sociologiques, qui ne les permettent pas pour l’instant de reùaliser le reâve qu’ils n’ont jamais cesseù de bercer dans leur aâme d’eùducateurs. Aussi, sommes-nous en train de participer aø cette prise de conscience poignante des nombreuses difficulteùs qui entravent l’action eùducatrice dans nos eùcoles.
Difficulteùs? Style patriarchal de l’exercice de l’autoriteù dans la famille et l’eùcole, conception traditionnelle de la discipline et de l’ordre. Outre ces deux meùcanismes de blocage face aø l’accueil du monde moderne, l’Ecole vietnamiennen deùplore aussi une autre faille: son systeøme de sanction en eùducation

Ici encore doit intervenir le contexte psycho-sociologique du pays:
Rappelons que le confucianisme est une hieùrarchie morale et sociale, lieùe aø sa propre vision du monde qui preùsuppose l’acceptation d’une eùchelle de valeurs. Or, dans l’enqueâte que nous avons meneùe, la place de l’ "honneur" chez les garcons doit retenir notre attention. C’est dire combien ce dynamisme peut avoir un roâle important dans l’eùducation. Ce meâme dynamisme dont la fierteù nationale est une des conseùquences, eùtonne certains pays deùveloppeùs, anime la plupart des comportements du Vietnamien dans ses relations avec les eùtrangers; ce meâme souffle de force, par contre, pourrait eâtre un tremplin dangereux pour son ambition personnelle (cf. profil graphologique) ou pour sa promotion sociale lorsque la compeùtence lui fait deùfaut.

Une glaive aø deux tranchants:
Or, c’est justement cette corde sensible que certains eùducateurs vietnamiens auraient tendance aø exploiter d’une facon inconsideùreùe dans l’exercice de leur fonction...
Tableaux d’honneur, Prix d’excellence, Reùcompenses speùciales...Ajouter aø cela, des seùances de Distributions des Prix pompeuses qui, bien souvent heùlas, font plus de deùcus, des complexeùs que de garcons eùpanouis et satisfaits. Loin de nous cette audace de vouloir eùcarter toute ideùe d’eùmulation dans l’eùducation. Nous ne voulons ici que, pour notre compte personnel, remettre en question les avantages de cette meâme eùmulation lorsqu’elle est eùrigeùe en systeøme. Car, aø notre avis, ne serait-ce pas ainsi meilleure manieøre de perturber l’eùchelle des valeurs que nous avons peùniblement essayeù de proposer aø nos jeunes? Certes, nous n’ignorons pas que cette question d’eùmulation a fait couler beaucoup d’encre et a contribueù malheureusement aø creuser plus profondeùment le fosseù entre "les Anciens et les Moderrnes".

Cependant, pour rester fideøle aø l’objectif de notre travail - suivre l’eùvolution, interroger le passeù, prospecter l’avenir - nous ne pouvons le faire honneâtement sans nous heurter aø diffeùrentes conceptions, car quelqu’un a dit: "rencontrer, c’est se remettre en question, c’est pouvoir se comparer, c’est surtout commencer aø changer".
Apreøs cette petite mise au point, nous avons l’impression d’eâtre mieux compris et plus aø l’aise dans l’expression de notre point de vue.
A propos de cette eùmulation: lorsqu’elle est mal orienteùe, elle pourrait constituer pour nos jeunes un terrain peu favorable pour leur eùvaluation des criteøres de choix offerts par la socieùteù dans laquelle ils sont appeleùs aø vivre. Leur avenir deviendrait alors plus troublant, lorsque, eùcartant toute hieùrarchie de valeur, ils ne sont plus polariseùs que par le "plus-reùmuneùrateur" ou l’ "avoir-plus"... Ainsi, la valeur de l’homme ne reùsiderait plus dans ce qu’il est en lui-meâme, mais en ce qu’il produit!.. Courses aux diploâmes par tous les moyens, y compris l’injustice, la malhonneâteteù; aspiration effreùneùe aø la promotion sociale malgreù l’absence de compeùtence reùelle. Les moyens sont devenus, par une logique interne inconsciente, des fins farouchement poursuivies.

Evidemment, il ne s’agit laø que des cas-limites qui pourraient eâtre le lot de toute civilisation et culture. Or preùcisement, l’art de l’eùducateur est de savoir rester dans l’optimum, sans ceùder aux deux extreâmes.
Il n’en reste pas moins que l’eùducateur d’aujourd’hui en milieu vietnamien se trouverait mieux inspireù dans son action s’il arrivait aø une prise de conscience des difficulteùs reùelles au niveau de quelques aspects des coutumes, de toute une mentaliteù aø reùorienter, d’un certain style de vie aø adapter au rythme intransigeant d’une socieùteù en devenir.

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3. Types de relations au Viet Nam

a) Institutions sacrales

Deøs l’origine de sa vie, le Vietnamien s’attache fortement aux siens comme aø un ancrage vital; durant son enfance, il apprend aø vivre en "fils", en "freøres"... au fur et aø mesure que les anneùes passent, il assume d’autres roâles. C’est ainsi qu’il s’inteøgre progressivement aø la vie adulte avec ses charges et se responsabiliteùs nombreuses. A aucun moment, il ne se trouve isoleù. La socieùteù, par la force des traditions et des lois, en la personne des aineùs et des collectiviteùs familiales et communales, reøgle sa conduite aø peu preøs en tout.

Comment pouvait-on le concevoir autrement dans cette socieùteù agraire dont le secret de la survie se trouve dans sa stabiliteù meâme?
L’histoire est laø pour nous en fournir des explications: Les 10 sieøcles de domination chinoise, au lieu de reùduire la volonteù du peuple vietnamien, avaient en reùaliteù contribueù aø faire naitre une conscience nationale, une certaine uniteù en vue da la lutte pour se deùgager de la volonteù des chinois de l’assimiler compleøtement aø leurs civilisation et culture.

De plus, un facteur geùographique speùcial aø ce pays - la mousson - a certainement exerceù une influence sur le style de vie de cette population essentiellement agricole: tout un systeøme de preùcautions, baseù sur l’expeùrience, la tradition, lui a sans doute inspireù une certaine reùticence aø l’eùgard des initiatives dont les reùsultats n’ont pas encore fourni leurs preuves. Pour elles, improviser, c’est aller aø la mort.
Sur ce point, Gusdorf a bien raison de souligner que "l’existence communautaire ainsi reùgie par le principe de conservation rituel, s’oppose aø toute initiative individuelle qui, dans la mesure meâme ouø elle innoverait, deùseùquilibrerait l’ordre des choses pour le plus grand danger de tous"

Enfin, si nous cernons de preøs le fait qu’au Viet Nam, des "institutions sacrales" imposent leur loi, nous ne tarderons pas aø deùcouvrir une raison profonde qui a fausseù le point de deùpart:
En effet, par l’intermeùdiaire des "sages et des guides sprituels" des sieøcles passeùs, la socieùteù enseigne au Vietnamien que lui-meâme n’est rien, mais que l’ordre est bon et neùcessaire. L’ideùal serait donc de servir et non de dominer, et la performance consiste dans l’accomplissement des devoirs et des rites dans toutes leurs exigences, et non dans l’exhibition de ses propres initiatives, fussent-elles garanties par sa renommeùe personnelle. Car le "geùnie est un talent du Ciel", recu en vue d’une mission, et toute oeuvre doit eâtre vue comme un acquittement d’un devoir. A l’homme donc est reconnu uniquement l’esprit de service. De cette facon, ne nous eùtonnons pas de voir combien est peùnible cette marche vers l’industrialisation du pays. Non pas que le Vietnamien ne soit pas inventif - depuis plus de 20 ans, cette gueùrilla nous en a largement fourni la preuve - mais que les initiatives personnelles sont trop peu encourageùes et favoriseùes.

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b) Relations des petits groupes

Habitueù aø vivre dans ce climat "tranquille" ouø la socieùteù est pourvoyeuse de tout et dont il suffit d’emboiter le pas, le Vietnamien en vient peu aø peu aø laisser s’eùdulcorer et son esprit d’initiative, et ce qui est plus grave, son sentiment de responsabiliteù pour le bien commun.

Interpeleù d’une part par des valeurs de la vie communautaire, frustreù d’autre part dans sa volonteù de participation, le Vienamien va deùsormais se replier dans un petit groupe pour essayer de se tailler une place. Mais encore, il sera aø nouveau dupe de sa nouvelle expeùrience. Et nous assistons une fois de plus aø une autre sorte d’emprise sociale, concreùtiseùe par cet "esprit de clocher" si peu favorable au vrai dialogue, aø une reùelle ouverture sur le monde.
Nous avons souligneù dans notre premieøre partie l’aspect positif de cette solidariteù treøs forte chez les Vietnamiens: secours mateùriels, soutiens moraux, prise en charge par la socieùteù etc... De telles attitudes ne risqueraient-elles pas d’enfermer l’individu dans son petit monde?
Heckenroth eùcrit preùciseùment: "Ne voyant gueøre au-delaø de son cadre familial, cette limite physique de son horizon influe sur sa manieøre de voir et de penser. Il reste conditionneù par le comportement de ses anceâtres. Car la terre preùsente toujours le meâme visage, appelle les meâmes soins, exige les meâmes gestes, respire selon les meâmes rythmes. Sa spheøre existentielle se restreint aø ses champs, aø sa famille, aø son clocher, aø sa province...et il mettra longtemps aø deùcouvrir qu’il appartient aø des ensembles plus vastes"

Pour un observateur habile, il suffit de longer l’autoroute de Bien Hoøa, Saigon, pour se rendre compte au moins en passant, de cette reùaliteù. Il s’agit de ces reùfugieùs dont nous avons admireù l’heùroisme parce qu’ils ont tout quitteù pour aller aø la recherche de la Liberteù...
Qu’observons-nous? Sur une distance de 5 kilomeøtres, nous comptons deùjaø au moins 3 "clochers" d’eùglises de styles diffeùrents qui deùnotent les caracteùristiques de chaque "paroisse" autonome et bien regroupeù.
De cette manifestation, conclure en geùneùralisant que "l’esprit de clocher" reøgne en maitre au Viet Nam, ce serait pousser trop loin les affirmations. N’empeâche que "les relations des petits groupes" aø la longue habituent les jeunes aø reùtreùcir leur horizon social. Notons, en passant, qu’il n’est pas rare de voir certaines sceønes de quartier qui sans doute sont des vestiges d’un "systeøme clanique" plus ancien: Nous savons que le Vietnamien se sent particulieørement atteint dans les siens. Dans les disputes graves, les injures remontent rapidement jusqu’aux anceâtres et s’eùtendent aø plaisir sur toute la parenteù, voire le village tout entier. D’ouø intervention de la collectiviteù pour reøgler les diffeùrends, chaâtier les coupables...
Ce qui est plus eùcoeurant encore, c’est de constater la survivance de cet esprit de clocher, ce cloisonnement des blocs seùpareùs, veùcus sous formes de rivaliteùs entre reùgions ou entre communauteù confessionnelles.

L’ideùologie marxiste n’a cesseù d’exploiter cette faille dont l’histoire remonte deùjaø au XVIIe sieøcle avec cette guerre fratricide entre les Trònh et les Nguyeãn (1627-1775). C’est ainsi que nous avons assisteù en 1963 aø cette deùnommeùe "Guerre des Religions", allumeùe par les communistes dans le pays dressant l’un contre l’autre les deux "blocs" catholique et bouddhiste reùnoveù. Qu’ils aient reùussi ou non dans leur dessein politique, ces adeptes du marxisme ont su neùanmoins exploiter cette vulneùrabiliteù de ce mode de vie renfermeùe sur un horizon trop eùtroit. Admettons que cet "esprit de caste" puisse devenir une richesse, il aura fallu beaucoup d’efforts et surtout de largeur de vue pour preùparer le pays aø une politique d’accueil, de passage, d’eùchange et d’entraide qu’exige un monde pluraliste et diversifieù. Au fond, il s’agit donc laø d’un eùleùment positif, car il peut s’il est bien orienteù, s’accomplir en esprit d’eùquipe.

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c) Conception de l’Homme

Ce survol rapide sur les diffeùrents meùcanismes de blocage face aø l’accueil du monde nous ameøne aø une dernieøre remise en question: la conception de l’Homme selon le Confucianisme favorise-t-elle l’ouverture aø de nouvelles valeurs? Disons tout de suite qu’en deùpit et au-delaø de toutes les diversiteùs d’eùcoles, les philosophes s’accordent pour reconnaitre l’existence d’une seule et meâme loi, reùgissant toutes choses, l’homme n’eùtant parmi elles qu’une note parmi la symphonie universelle.
Nous avons dit que l’ "Homme oriental" vit en communion avec la nature qui l’entoure. Jamais il ne se serait senti eùcraseù "entre les deux infinis" de Pascal ou "entre cet instant ouø il n’est plus et cet instant ouø il ne sera pas encore" de Saint Augustin. A aucun moment, l’existence dans le monde ne fut pour lui objet de stupeur ou d’angoisse. L’Homme est laø parmi les autres hommes dans un univers ouø chacun doit avoir sa place et sa petite part de bonheur et de vie.

Qu’en attend-il de plus?
C’est preùciseùment dans cette facon d’aborder la vie qu’il va se heurter au danger de se laisser-vivre et porter par le destin, sans jamais essayer de trouver sa propre identiteù, et d’assumer son roâle en tant qu’homme inseùreù dans cet univers en mouvement, et aø ce titre, participer aø ce dynamisme dont le souffle ne saurait eâtre qu’une prise de conscience de la destineùe personnelle, condition indispensable de la survie du groupe.
Or cette prise de conscience ne peut commencer qu’au niveau psychologique. Autrement dit, il faut remettre l"Homme aø sa vraie place, non dans soumission inconsideùreùe aø son destin inexorable, mais dans la revalorisation de sa propre existence. Car, rappelons-nous que l’Homme est d’abord une Valeur.

Peùdagogie des Valeurs, socialisation des jeunes...seraient de vains mots si nous, eùducateurs, n’avons pas auparavant "inquieùteù" les jeunes, aø les faire deùcouvrir ce qu’ils sont, et leur place dans le monde, en leur proposant des valeurs dont la promotion les aidera aø se construire et ensuite aø construire des Communauteùs de vie qui doivent reùpondre aø leurs aspirations profondes et personnelles. Reùpeùtons-le, l’eùducateur vietnamien d’aujourd’hui ne peut se deùrober aø des impeùratifs de l’eùvolution du milieu dans lequel il vit; d’autre part, son action ne sera efficace que dans la mesure ouø il tiendra compte des valeurs traditionnelles existantes, et non seulement de celles qu’il cherche aø importer de l’exteùrieur. Nous voyons donc la neùcessiteù urgente de prospecter une Peùdagogie des valeurs adapteùes, de penser en un mot, aø la "modernisation du traditionnel" au niveau de l’eùducation.

L’Ecole Vietnamienne changera-t-elle de visage?
Le pari est lanceù. A nous, eùducateurs, de reùfleùchir aø une action commune dont le succeøs ne se fera qu’au prix d’audace, de dialogue et de compreùhension mutuelle. Notre fideùliteù aux traditions, c’est de vivre le preùsent, un preùsent qui nous interpelle et nous remet nous-meâmes en question, et du meâme coup, notre conception du "devenir adulte" que nous voulons former chez nos jeunes dans le contexte actuel, et les moyens mis en oeuvre pour y arriver.

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