CHAPITRE III

ENQUETES SUR L’ECHELLE DES VALEURS
VECUES PAR LES JEUNES VIETNAMIENS

index
1. Reùsultats des enqueâtes
2. Interpreùtation des enqueâtes

   Chez les Garcons
    A. Enqueâtes faites au Viet Nam

   Chez les Filles
    B. Enqueâtes faites aø l’eùtranger
3. Conclusion

En deùpit de nombreuses transformations dans les structures sociales du Viet Nam, de l’interfeùrence eùtrangeøre provoqueùe par les eùveùnements historiques du pays, nous avons pu constater tout de meâme une certaine continuiteù interne dans le mode de vie des Vietnamiens et surtout dans cette fideùliteù aux valeurs nationales traditionnelles.

Nous aurions cependant mauvaise conscience si nous nous contentions d’en rester aux constatations superficielles, car deùjaø une autre question surgit: Ces valeurs traditionnelles vivent-elles encore effectivement chez les jeunes Vietnamiens d’aujourd’hui?

Pour trouver une reùponse aø cette question, nous avons lanceù un "test-sondage" dans les milieux estudiantins vietnamiens, au Viet Nam meâme, et dans quatre pays francophones ouø les eùtudiants vietnamiens sont les plus nombreux: en France, en Belgique, en Suisse, au Canada. Plusieurs d’entre eux ont quitteù le pays depuis plus de 15 ans.

Les reùsultats des enqueâtes - plus exactement des eùchantillonnages - dans ces pays eùtrangers doivent servir de contre-eùpreuves aø ceux des enqueâtes meneùes au Viet Nam: les eùtudiants aø l’eùtranger repreùsentent dans l’ensemble l’eùlite intellectuelle du pays, entieørement plongeùs dans la civilisation technique occidentale; leur rencontre avec l’Occident devraient fournir des donneùes socio-culturelles qui nous permettraient d’aborder sous un autre aspect l’eùchelle des valeurs des jeunes Vietnamiens dans les geùneùrations actuelles.

1. Reùsultats des enqueâtes:

Notre "test-sondage" est treøs simple: Nous jetons une fiche, dans l’ordre alphabeùtique 13 "valeurs", recouvrant en gros, les principales valeurs de la vie humaine. Nous avons demandeù aø nos "testeùs" de les classer par ordre deùcroissant de leur preùfeùrence personnelle sur une "eùchelle". Evidemment, l’anonymat a eùteù sauvegardeù et la liberteù respecteùe.

Nous avons confieù l’enqueâte au Viet Nam au Bureau de l’ "Association des Ecoles Catholiques" (A.E.C.) du Viet Nam; tandis que celle meneùe aupreøs des eùtudiants aø l’eùtranger a eùteù reùaliseùe par nous-meâme. Nous signalons un petit deùtail cependant: aø l’eùtranger, nous n’avons pas pu atteindre les eùleùments feùminins, minoritaires d’ailleurs. Rappelons aussi que l’aâge moyen des garcons et filles enqueâteùs au Viet Nam est de 18 ans, et celui des eùtudiants aø l’eùtranger est de 22 ans.

Une autre remarque: Nous tenons aø souligner ce fait que l’eùtiquette "Ecole catholique" au Viet Nam n’appelle pas l’ideùe d’exclusiviteù ou de prioriteù reùserveùe aø la clienteøle catholique. Elle signifie simplement "un Etablissement dont l’administration est assureùe par des chreùtiens laics ou religieux". D’ailleurs les statistiques nous montrent que l’effectif de ces eùcoles dans ses 2/3 est repreùsenteù par des non-chreùtiens.

Cela dit, revenons aø notre enqueâte:
Vu le classement de reùponses suggeùreù au deùpart (sur une eùchelle), nous avons adopteù le systeøme de codage suivant: A chaque "marche" de l’eùchelle, nous attribuons "une note" par ordre deùcroissant: la premieøre, en haut, 13 points, la seconde, 12 points... et ainsi de suite jusqu’aø la 13e (dernieøre marche) qui recoit 1 point. Nous faisons ensuite le total des points obtenus par chaque "valeur’ aø chaque marche sur l’ensemble des reùponses. Ceci eùtant fait, nous proceùdons ensuite aø la classification des valeurs par ordre de grandeur deùcroissante, d’apreøs le total des notes obtenues. En voici les reùsultats finals:

Enqueâtes faites au Viet Nam A l’eùtranger

Filles

1. Bonheur de la famille ù
2. Amour
3. Vertu
4. Religion
5. Ideùal humain
6. Seùcuriteù
7. Culture
8. Santeù
9. Paix de la conscience
10.Honneur
11.Amitieù
12.Patrie
13.Argent

Garcons

1. Sante
2. Ideùal humain
3. Seùcurite
4. Culture
5. Honneur
6. Religion
7. Veru
8. Patrie
9. Amour
10.Amiteù
11.Bonheur de la fam.
12.Argent
13.Paix dela consc.

Garcons

1. Bonheur de la famille
2. Amitieùù
3. Patrie
4. Honneur
5. Amour
6. Culture
7. Paix de la conscience
8. Ideùal humain
9. Argent
10.Santeù
11.Religion
12.Seùcuriteù
13.Vertu

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2. Interpreùtation des enqueâtes

Mises en regard l’une aø coâteù de l’autre, les deux eùchelles de valeurs des garcons et des filles au Viet Nam apparaissent deøs le premier coup d’oeil, fondamentalement diffeùrente: la hieùrarchie des valeurs n’est pas la meâme ou, plus exactement, les valeurs ne sont pas veùcues de la meâme manieøre. Mais si l’on examine aø fond et attentivement, on trouve des deùtails de ressemblance bien curieux: Certaines valeurs (Amitieù - Argent) se trouvent aø peu preøs aø la meâme place, vers la fin des deux colonnes; d’autres forment des "blocs" qui se trouvent eâtre les meâmes pour garcons et filles, bien qu’aø des places diffeùrentes sur les eùchelles respectives:

Filles

5. Ideùal humain
6. Seùcuriteù
7. Culture
3. Vertu
4. Religion

Garcons

2. Ideùal humain
3. Seùcuriteù
4. Culture
6. Religion
7. Vertu

D’une manieøre geùneùrale, pour pouvoir classer ces 13 valeurs, les jeunes ont du reùfleùchir et peser leurs reùponses. Ces "regroupements en blocs semblables" manifesteraient aø notre avis, soit une meâme deùmarche de penseùe, soit un meâme scheøme de valeurs, fruits indubitables des meâmes environnements eùducatifs et socio-culturels.

Notons ensuite, aø cet aâge (Secondaire 2nd cycle), les jeunes, plongeùs de plein pieds dans l’ideùalisme, eùclairent leur hieùrarchie des valeurs d’apreøs leur vision ideùale des eâtres et des choses et se reùfeørent d’embleùe aux types d’homme ou de femme ideùals dans lesquels ils se projettent et projettent aussi leur vision de l’avenir. Ces types d’homme ou de femme, produits des litteùratures dont ils se nourrissent depuis leur prime enfance, ou ces modeøles que leur propose le milieu socio-culturel dans lequel ils vivent, quels sont-ils? Comment se retrouvent-ils aø travers ces hieùrarchies de valeurs?

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Chez les Garcons:

Dans la premieøre partie de notre preùsent travail, nous avons parleù du "Quaân Töû", type d’homme parfait selon la morale confuceùenne. Le terme "quaân töû" tend aø deùfinir en fin de compte simplement la perfection morale et s’emploie indiffeùremment pour l’homme comme pour la femme. On dit par exemple: "Nam nhi quaân töû" (l’homme quaân töû); "nöõ nhi quaân töû" (la femme quaân töû).

Cependant, dans la pratique, pour parler de l’homme ideùal, on preùfeøre lui donner le nom de "Tröôïng phu" (tröôïng: mesure antique, eùquivalente aø 10m environ; phu: l’homme ayant atteint sa majoriteù - maturiteù - c’est-aø-dire aø partir 20 ans, dans la socieùteù vietnamienne antique). Le mot "tröôïng" prend ici un sens symbolique, et exprime l’ideùe de "grandeur", de "force" qui surpasse le commun des mortels (eùvidemment pas dans le domaine physique ou musculaire ou de la hauteur de la taille). Ce mot "tröôïng" peut encore couvrir le sens de "anh huøng" (homme courageux, heùros).

Tandis qu’aø la femme ideùale on preùfeøre attribuer le qualificatif de "Ñöùc Haïnh" (Ñöùc: vertu, comprise comme une force, une eùnergie, un dynamisme inteùrieur, aø l’origine de tout acte vertueux; Haïnh: vertu aussi, mais consideùreùe dans son "rayonnement" aø travers les comportements exteùrieurs.)
Pour faciliter la compreùhension de notre interpreùtation des enqueâtes, nous allons, aø travers la litteùrature et les traditions nationales, chercher aø brosser le portrait du "Tröôïng Phu" ou d’un "Anh Huøng" proposeùes aux jeunes Vietnamiens.

A l’instar des grands Maitres de la philosophie confuceùenne, Nguyeãn Coâng Tröù, dans deux poemes bien connus des eùleøves du Secondaire 2nd Cycle, a ainsi eùbaucheù les grands traits du "Tröôïng Phu":
Pour la commoditeù de la lecture, nous mettons la traduction (approximative) en regard du texte. Ensuite puisque le texte original eùtait eùcrit en sino-vietnamien, force nous est obligeùe d’utiliser des peùriphrases en francais pour rester fideøle aø la penseùe de l’auteur:

Phaän söï laøm Trai

1. Vuõ truï chöùc phaän noäi
2. Ñaáng Tröôïng Phu moät tuùi kinh luaân

3. Thöôïng vò ñöùc haï vò daân
4. Saép hai chöõ "Quaân, Thaàn"

5. Coù "Trung, Hieáu" neân ñöùng trong trôøi ñaát

6. Khoâng coâng danh thôøi naùt vôùi coû caây


7. Chí tang boàng hoà thæ daï naøo khuaây
8. Phaûi haêm hôû ra taøi kinh teá
9. Ngöôøi theá traû nôï ñôøi laø theá

10. Cuûa ñoàng laàn thieân haï tieâu chung

11. Rieâng nhau hai chöõ "anh huøng"

Dans les vers suivants, l’auteur explicite ce qu’il faut faire pour meùriter le nom de "anh huøng" (heùros):

12. Maáy keû bieát anh huøng khi vò ngoä?
13. Cuõng coù luùc möa doàn soùng voã
14. Quyeát ra tay buoàm laùi vôùi cuoàng phong

15. Chí nhöõng toan xeû nuùi laáp soâng

16. Laøm neân tieáng phi thöôøng ñaâu ñaáy toû

17. Ñöôøng may roäng theânh theânh cöû boä

18. Nôï tang boàng trang traêng voã tay reo

19. Thaûnh thôi, thô tuùi, röôïu baàu

Nguyeãn Coâng Tröù

Nguyen Cong Tru - Extrait du programmede Litteùrature du Secondaire 2nd cycle

L’ "eâtre" et la "fonction" d’un homme

1. Tout ce qui est aø faire dans l’universre vient aø la fonction de l’homme
2. Pour cela, le Truong Phu doit avoir la science et les talents neùcessaires
3. Sa mission? Promouvoir premieørement l’aveønement de la vertu, et ensuite la prospeùriteù du peuple
4. Qu’il charge sur ses eùpaules tout ce qu’impliquent comme devoirs envers la Patrie et la Famille.
5. C’est parce qu’il est "fideøle" aø la Patrie et "pieux envers ses parents" que l’homme meùrite sa place dans l’univers
6. S’il ne reùalise aucune oeuvre ou ne laisse aucun renom, il disparaitra dans l’univers comme disparaissent les herbes et les plantes sans valeur
7. Que sa volonteù et ses deùsirs d’exploits ne le laissent jamais en repos
8. et qu’il deùploie avec ardeur tous ses talents d’eùconomiste
9. C’est de cette facon que l’homme en ce monde acquitte sa dette envers le monde.
10. Car en somme tous les biens mateùriels appartiennent aø tout le monde
11. Seul appartient en propre aø chacun le  renom de "heùros" qu’il aura meùriteù par sa vie

12. Combien de gens discernent un heùros quand quelqu’un n’a pas encore rencontre d’occasion pour prouver sa valeur?
13. Mais quand viennent les tempeâtes et les vagues furieuses
14. Il deùploera alors toutes ses capaciteùs pour guider les voiles et tenir le gouvernail contre l’ouragan
15. Ses aspirations, c’est de pouvoir aplanir les montagnes et combler les fleuves
16. Reùaliser des explois extraordinaires que partout on doit reconnaitre
17. D’un pas assureù, il marche sur "la route des nuages" (succeøs et promotion) largement ouverte devant lui
18. Une fois les dettes d’exploits acquitteùs il chantera sa joie en battant les mains
19. le coeur leùger, il se livrera alors aø ses plaisirs favoris: une poche pleine de poùesie, et une gourde remplie de vin.

Nous constatons que le "Tröôïng Phu" (heùros) reprend en somme toutes les attributions du "Quaân Töû" (honneâte homme, type d’homme parfait).
Ayant une vocation eùlargie jusqu’au cadre de l’univers (vers 1), et s’eùtant imposeù comme but de ses activiteùs l’aveønement de la vertu et de la prospeùriteù du peuple (vers 3), il doit donc se perfectionner sans cesse en sciences, en talents et en vertus (vers 2). Il ne se perfectionne pas pour lui-meâme, mais en vue de la Patrie et de la Famille (vers 4). Patrie et Famille deviennent la raison et la valeur de son existence et il ne peut se croire digne de sa place dans l’univers qu’en devenant "fils pieux" (hieáu) et "citoyen fideøle" (trung) (vers 5). Cette pieùteù et cette fideùliteù, il doit en teùmoigner aø travers les oeuvres (vers 6) politiques et eùconomiques  (vers 8 et 15), et militaires (vers 13-14) oeuvres qui doivent laisser aø leur auteur un renom sans eùquivoque (vers 6-11-16). Et c’est apreøs savoir acquitteù ces dettes qu’il peut vraiment penser aø lui, aø ses agreùments personnels (vers 17-18-19).

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A. Enqueâtes faites au Viet Nam

Sans vouloir forcer notre interpreùtation, cette conception du Tröôïng Phu, nous la retrouvons aø travers l’eùchelle des valeurs des garcons :

1. Santeù
2. Ideùal humain
3. Seùcuriteù
4. Culture
5. Honneur
6. Religion
7. Vertu
8. Patrie
9. Amour
10. Amitieù
11. Bonheur de la famille
12. Argent
13. Paix de la conscience

Les 5 premieøres valeurs (Santeù - Ideùal humain - Seùcuriteù - Honneur -  Culture) constitueraient l’image, les conditions preùalables du Tröôïng Phu, dans sa perfection et sa mission: Il doit eâtre un homme "fort", armeù d’un "ideùal humain" eùleveù, en vue travailler aø la "seùcuriteù" (paix, prospeùriteù, bonheur) du pays et de la famille. Pour ce faire, il doit eâtre un homme eùpris de "culture" et soucieux de son "honneur" (renom, vertu).

Nous voyons en fin de compte se dessiner ici les grandes lignes du "Tu Thaân" (perfectionnement de soi), eùtape premieøre pour parvenir aø la stature adulte du "type d’homme parfait" dont nous avons parleù dans la premieøre partie de notre travail de recherche.
Notons cependant que le "Tröôïng Phu" ne se perfectionne pas pour lui-meâme, mais en vue de sa petite famille d’abord (teà gia), puis une famille plus grande (trò quoác) qu’est sa Patrie, enfin, en vue de la famille universelle (bình thieân haï).

Ainsi, les 3 valeurs suivantes Religion - Vertu - Patrie repreùsenteraient donc les valeurs supeùrieures que le Tröôïng Phu doit servir at auxquelles il consacrera sa vie. Si nous tenons compte du fait que les 2/3 des garcons testeùs ici sont des non-chreùtiens, le terme "religion" signifie pour eux tout simplement "Culte des Anceâtres", forme supreâme de la Pieùteù filiale (Ñaïo Hieáu). Nous retrouvons une fois de plus le pralleùlisme entre Famille et Patrie, et la place primordiale des deux cateùgories "Hieáu" et "Trung" inseùparablement lieùes.

Les 3 valeurs qui suivent Amour - Amitieù - Bonheur de la famille repreùsenteraient les "agreùments personnels" reùcompenses naturelles du Tröôïng Phu accomplissant ou ayant accompli ses "dettes" envers la Famille et la Patrie (cf. Poeme de Nguyen cong Tru, vers 18-19)
L’Argent vient apreøs tout cela bien sur, car il ne peut pas constituer une motivation valable pour les ambitions du Tröôïng Phu.
Enfin, la Paix de la conscience se tient aø la dernieøre marche de l’eùchelle, car pour les non-chreùtiens, elle n’est pas une valeur en soi: d’abord parce qu’ils ne connaissent pas les miasmes de culpabiliteù propres aø leurs camarades catholiques, du aø l’obsession du peùcheù, laquelle est nourrie et entretenue aø son tour par une cateùcheøse traditionnelle aø base moralisante et des examens de conscience exigeùs par des devoirs religieux. D’ailleur quand on acquitte toutes ses "dettes", la paix de la conscience vient toute seule.

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Chez les filles

Si l’on attribue aux garcons l’univers comme champ d’action, l’univers de la femme vietnamienne est dans le cadre de la famille.
L’homme ideùal se perfectionne pour devenir un fils pieux (hieáu) et un citoyen fideøle (trung), la femme ideùale se perfectionne pour devenir une eùpouse treøs douce (vôï hieàn), ou une meøre treøs douce (meï hieàn) ou en un mot une "femme vertueuse" (gaùi ñöùc haïnh):
Trai thì "trung, hieáu" laøm ñaàu - Gaùi thì "ñöùc haïnh" laø caâu söûa mình" - Luïc Vaân Tieân (L’homme doit mettre la "pieùteù filiale" et la "fideùliteù" au-dessus de tout et la femme doit prendre la "vertu" comme but de son perfectionnement personnel).

Le poeme "Gia Huaán Ca" (De l’eùducation familiale) dit explicitement ceci aux garcons et filles non encore eùtablis:
"...Gaùi thì giöõ vieäc trong nhaø
Khi vaøo canh cöûi, khi ra theâu thuøa
Trai thì ñoïc saùch ngaâm thô
Duøi maøi kinh söû ñeå chôø kòp khoa"
(La jeune fille doit apprendre aø tenir une maison, filer, tisser, brodet.
Le jeune homme doit se consacrer aø la lectures des livres et poemes et poursuivre avec patience ses eùtudes, en vue des examens et des fonctions aø venir.)

Ainsi, l’existence d’une femme vietnamienne est entieørement lieùe aø son foyer. Une fois qu’elle aura quitteù la maison paternelle pour suivre son mari, la femme est consideùreùe fixeùe dans son sort:
"Con gaùi coù hai beán soâng
Beán ñuïc thì chòu, beán trong thì nhôø" - Ca dao
(La femme n’a qu’une de ces deux berges possibles: limpide ou boueuse. Mais une fois amarreùe, c’en est fini: si sa berge est boueuse, qu’elle en supporte les conseùquences; si elle est limpide, ce sera tant mieux pour elle) - Chanson populaire-

Ou encore:
"Thaân em nhö haït möa raøo
Haït rôi xuoáng gieáng, haït vaøo vöôøn hoa" - Ca dao
(Mon sort est comparable aø des gouttes de pluie: il y en a qui tombent dans les puits, d’autres dans les jardins fleuris) - Chanson populaire -

"Traêm naêm traêm tuoåi
May ruûi moät choàng" - Tuïc ngöõ
(Toute sa vie, aø supposer qu’elle vive cent ans, chanceuse ou malchanceuse, une femme ne sert qu’un mari) - Proverbe -

C’est pourquoi l’aspiration profonde d’une femme, c’est de trouver un mari qui l’aime et avec qui elle puisse s’entendre:
"Thuaän vôï thuaän choàng
Taùt bieån ñoâng cuõng caïn" - Tuïc ngöõ
(Que mari et femme s’entendent, alors meâme qu’ils projettent d’eùpuiser l’eau des oceùans, ils y parviendront) - Proverbe -

Qu’importe donc la richesse ou la pauvreteù, seul l’amour compte:
"Choàng em aùo raùch em thöông
"Choàng ngöôøi aùo gaám soâng höông maëc ngöôøi" - Ca dao
(Il a des habits deùchireùs, mais parce qu’il est mon mari, je l’aime. Que ton mari porte des veâtements en brocard parfumeù, cela te regarde, cela ne m’inteùresse pas") - Chanson populaire -

Apreøs ce survol rapide sur la place de la femme dans la litteùrature vietnamienne, nous comprenons alors sans peine l’eùchelle des valeurs dresseùes par les filles concerneùes dans notre enqueâte:
1. Bonheur de la famille
2. Amour
3. Vertu
4. Religion
5. Ideùal humain
6. Seùcuriteù
7. Culture
8. Santeù
9. Paix de la conscience
10. Honneur
11. Amitieù
12. Patrie
13. Argent

Le bonheur familial tient la premieøre place, parce que de la famille deùpend toute l’existence d’une femme. Mais le bonheur familial n’est possible que s’il y a l’amour. A leur tour, bonheur familial et amour ne peuvent se conserver que s’ils sont baâtis sur des bases solides de la vertu et de la religion dont la pratique constante exige un ideùal humain eùleveù. Voilaø en cinq mots, l’univers d’une femme ideùale et les conditions neùcessaires pour reùussir sa vie.
Les 3 valeurs suivantes: Seùcuriteù - Culture - Santeù repreùsenteraient les trois eùleùments constitutifs du bonheur familial auquel la femme consacre son existence.
Une fois ces biens acquis, dans la paix de la conscience, son honneur ayant eùteù sauvegardeù, son renom de femme vertueuse reconnu, elle pourra alors jouir de la consideùration et de l’amitieù de tous ceux qui la connaissent.

Enfin, le mot "Patrie" dans la mentaliteù des femmes vietnamiennes a une reùsonnance politique, domaine qui ne les inteùresse pratiquement pas. C’est l’affaire des hommes.

L’argent vient en dernier lieu, car le bonheur que la femme vietnamienne recherche ne se fonde pas du tout sur l’argent.
Qu’on nous permette ici une remarque sur l’interpreùtation des enqueâtes faites au Viet Nam: il est vrai que les circonstances dans lesquelles ces jeunes interrogent leur conscinece pour nous reùpondre ne favorisent nullement leur souci de clarteù et d’assurance (eùtat physiologique, psychologique, perturbations politiques...), nous sommes en droit dans certaine mesure de conclure que, vu les reùsultats obtenus, nous n’avons pas eùteù deùcus dans notre attente.
Bien que ces enqueâtes faites au Viet Nam rejoignent notre point de vue personnel, par souci d’objectiviteù plus grande, et dans le deùsit d’infirmer notre hypotheøse, nous avons lanceù un eùchantillonnage d’enqueâte aupreøs des eùtudiants Vietnamiens aø l’eùtranger, enqueâtes qui vont servir de contre-eùpreuves aux reùsultats obtenus ci-dessus.

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B. Enqueâtes faites aø l’eùtranger:

Deux observations s’imposent:
a)- Tous les garcons qui ont reùpondu aø nos enqueâtes ont tous de 20 aø 25 ans, donc deùjaø assez "murs" (alors que l’aâge moyen des enqueâteùs au Viet Nam est de 18 ans). De plus les 2/3 des eùtudiants en questions sont catholiques, alors que la proportion de catholiques parmi les enqueâteùs au Viet Nam ne deùpasse pas 1/3.
b)- Le questionnaire envoyeù aux eùtudiants vietnamiens aø l’eùtranger est reùdigeù en francais, alors que le meâme texte est reùdigeù en vietnamien pour les eùtudiants reùsidant au pays.

Cette particulariteù provient de ce que cette question sur l’eùchelle des valeurs n’est qu’une des 10 questions formant une enqueâte sur les conditions psycho-sociologiques des eùtudiants vietnamiens vivant aø l’eùtranger.

Garcons

Enqueâtes faites au Viet Nam

1. Santeù
2. Ideùal humain
3. Seùcuriteù
4. Culture
5. Honneur
6. Religion
7. Vertu
8. Patrie
9. Amour
10. Amitieù
11. Bonheur de la famille
12. Argent
13. Paix de laconsciense

Enqueâtes faites aø l’eùtranger

1. Bonheur de la famille
2. Amitieù
3. Patrie
4. Honneur
5. Amour
6. Culture
7. Paix de la conscience
8. Ideùal humain
9. Argent
10. Santeù
11. Religion
12. Seùcuriteù
13. Vertu

Nous avouons que deøs le deùpouillement et le codage des enqueâtes, notre premieøre impression fut un certain eùtonnement, car nous avons constateù que l’eùchelle des valeurs n’est plus la meâme que celle des garcons un peu plus jeunes au pays.
Cependant, apreøs reùflexion et confrontation avec nos colleøgues vietnamiens, nous nous sommes apercu qu’au fond, l’essentiel demeure le meâme:

Les deux cateùgories "Famille-Patrie" - dont "pieùteù filiale" (hieáu) et "fideùliteù patriotique" (trung) - constituent ici encore le noyau aø partir duquel s’organisent et prennent place toutes les autre valeurs.
Mieux encore, ici la Famille et la Patrie occuppent justement la place qui devrait leur eâtre attribueùe par la mentaliteù et les traditions morales nationales. "Trai thì trung hieáu laøm ñaàu" (= premieøre place)

Ceci eùtant dit, examinons l’eùchelle des valeurs dresseùe par les eùtudiants vietnamiens aø l’eùtranger:
Les 8 premieøres valeurs sont toutes, des valeurs supeùrieurs, de l’ordre naturel ou humain. Elles forment bloc autour de "Famille" et "Patrie", garantissant ainsi la solidariteù et le succeøs comme dans les deux autres eùchelles iterpreùteùes plus haut.
Remarquons toutefois que l’Argent monte et forme bloc avec la Santeù: tout se passe comme si, aø cet aâge, plus reùaliste, parce que deùjaø au contact avec la vie, l’Argent et la Santeù auraient retrouveù leur vraie place, aussitoât apreøs les autres valeurs humaines supeùrieures. Concreøtement, ce sont bien laø deux eùleùments   mateùriels qui constituent le bonheur de la famille et la prospeùriteù du pays.

La Religion - La Seùcuriteù - La Vertu prennent ici les dernieøres places.

Nous nous sommes demandeù si cela ne provient pas de ce que les 2/3 des enqueâteùs ici sont catholiques. "Religion" pour ces jeunes formeùs aø l’ancienne conception cateùcheùtique, se reùveøle nettement eùquivalente aø "moralisme", et "vertu" est prise dans des acceptions du sens d’antan, c’est-aø-dire la "sainte vertu" avec tous ses tabous et ses environnements casuistiqueùs. D’ailleurs dans certaines reùponses, quelques jeunes ont mis un point d’interrogation (?) aø coâteù du mot "vertu" comme pour demander des preùcisions: est-ce dans le sens vietnamien de "ñöùc haïnh" ou dans le sens de vertu aø la francaise?

Un autre indice de l’influence catholique dans cette eùchelle de valeurs: la "paix de la conscience" monte de 7 places, par rapport aø l’eùchelle des valeurs des garcons au Viet Nam.

Enfin, le mot "seùcuriteù" en francais n’eùveille pas chez les eùtudiants vienamiens les meâmes reùminiscences que dans la langue maternelle. En francais, ce mot eùvoque l’ideùe de "stabiliteù", "assurance" (seùcuriteù sociale), "sans histoire". Alors qu’en vietnamien, ce meâme mot porte avec lui l’ideùe de "paix" et de "pacification", avec tout ce que cela implique comme exigences d’action et d’exploits. Tout porte aø croire (ici encore, un point d’interrogation sur une des reùponses aø coâteù de ce mot "seùcuriteù") que nos eùtudiants vietnamiens aø l’eùtranger ont compris ce mot dans les acceptions du sens francais, d’ouø s’explique sa place sur l’eùchelle.

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3) Conclusion:

Que conclure de ce sondage et des reùsultats que nous venons d’interpreùter?

Tout se passe comme si les transformations sociales, les interfeùrences eùtrangeøres, les apports de la technique que nous offrent les rencontres prolongeùes avec l’Occident, n’affectent que la peùripheùrie de l’aâme vietnamienne, si l’on peut dire ainsi.

Les vraies valeurs traditionnelles, nationales restent les meâmes, car elles sont englobeùes dans une vision du monde, dans une "philosophie" speùcifiquement vietnamienne. Pour les Vietnamiens, "eâtre" bien sur, c’est aussi "eâtre dans le monde". Mais existentiellement et d’une facon reùaliste, "eâtre dans le monde", pour nous, c’est concreøtement "eâtre dans une famille, dans un pays bien deùtermineùs" d’abord. D’ailleurs, c’est cette conception de l’existence qui nous permet de nous deùfinir d’une facon originale par rapport aø l’univers. Rappelons-nous encore une fois, ces deux citations, pour appuyer notre affirmation:
"Trai thì trung hieáu laøm ñaàu" - "Coù trung coù hieáu neân ñöùng trong trôøi ñaát"
(L’homme doit mettre la "fideùliteù patriotique" et la "pieùteù filiale" au-dessus de tout. - C’est parce qu’il est "trung" et "hieáu" que l’homme meùrite sa place dans l’univers.).

Chaque peuple, chaque groupe ethnique a un geùnie, cette manieøre originale d’aborder la reùaliteù qui lui est propre. C’est de cette facon que de tout temps, les Vietnamiens abordent l’univers et la vie et expriment leur "Je" et leur "Tu". Ils ne changeront pas, au moins, aø ce niveau-laø: au niveau de leur eâtre original.

"Quel que soient les deùveloppements prochains du machinisme en pays Vietnamien, quelle que soit l’eùvolution politique suivie, le solide bon sens de cette race essentiellement agricole ne semble pas preât d’eâtre eùbranleù. C’est en meùjuger que de tirer de haâtives conclusions devant des transitions et des remous...

Il y a des sieøcles que le Viet Nam subit le pire: occupations chinoises , exactions feùodales, exploitation coloniale. Les hommes de ce pays, loin d’eâtre reùduits, demeurent, perseùveørent, et s’affirment"

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