CHAPITRE I
VISION VIETNAMIENNE DU MONDE
index
1.Le Cosmos
2. Lharmonie universelle
3. Hiérarchie sociale
4. Hiérarchie morale
Pour le Vietnamien, tout ce qui existe, les êtres matériels comme spirituels, vient du Ciel (Trời), ou mieux encore, de "Monsieur le Ciel" (Ông Trời).
Cest le Ciel qui
a tout créé.
Il a créé les hommes: "Làm trai năm liệu bảy lo mới hào Trời sinh, Trời
chẳng phụ nào" - Ca Dao (Le jeune homme valeureux doit tout
prévoir, et le Ciel qui la créé, ne le délaissera jamais.) - Chanson
populaire.
Le Ciel a créé aussi les animaux et les plantes: "Trời sinh voi, Trời sinh cỏ" - Tục Ngữ (Le Ciel qui a créé les éléphants, a créé aussi la végétation) - Proverbes
La notion dun "Dieu-Créateur" chez le Vietnamien semble exercer une grande influence sur son comportement humain, social ou moral. Dailleurs, Confucius a voulu renchérir cette notion lorsquil disait: "Sinh thiên, sinh địa, sinh nhân cập vật giã, giai do thử Tạo Hóa, dĩ vi chi chủ dã" (Créer le ciel - entendons le cosmos - créer la terre, créer les hommes, et les choses, tout cela est loeuvre du Dieu-Créateur qui est ainsi le Maitre de tout.)
Quil nous soit
permis dajouter ici une observation concernant un aspect de cette conception du
monde:
Si le Vietnamien se sent particulièrement à laise dans ce monde de la nature
cest parce que sa vision de cette dernière semble présider à toutes ses
activités, car le Vietnamien ne sent et ne pense pas la nature de facon personnelle mais
cosmique. La trêve darmes au Viet Nam à loccasion du Premier Jour de
lAnnée Lunaire a révélé à beaucoup dOccidentaux lexistence
dun calendrier suivi depuis l’antiquité par plus de la moitié de
l’humanité. On ne sera pas sans remarquer cette affinité qui a présidé au
choix de ce calendrier par les peuples orientaux et le lien entre lexpérience des
rythmes cosmiques et les enseignements confucianistes, taoistes, et bouddhistes. John Wu,
dans son "Par de là LEst et lOuest" a souligné cette vie de
relation avec le cosmos:
"La qualité qui caractérise le mieux lâme orientale est peut-être ce
calme et cet enjouement qui jaillissent spontanément de lharmonie intérieure.
Dans ses meilleurs jours, lOriental se trouve accordé à tout lunivers. Le
rythme de sa vie joue en accord parfait avec le rythme du monde; mieux encore, les deux
rythmes se fondent en un seul."
Cette grande relation, lOriental la découvre aussi dans les particularités et dans les faits concrets de la vie quotidienne, si bien que la considération dune seule fleur lui procure le même effet que la considération du ciel!
Ceci est particulièrement exploité dans lOpéra Classique (Hát Bội): les gestes, stylisés, ont une signification symbolique. Par exemple, exhiber la fleur de chrysanthème, cest vouloir rappeler la splendeur de lautomne; la branche dorchidée signifie le renouveau; la fleur de lotus symbolise la pureté, la plénitude, la noblesse et la liberté.
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Ainsi, le Confucianisme
est la voie menant à lharmonie universelle et conséquemment, simpose comme
le code de hiérarchie des valeurs.
Il sagit de lharmonie cosmique, sociale et personnelle. Selon les
confucianistes, tous les êtres de lunivers sont régis par une
"trinité" de pouvoirs: "Le Ciel qui engendre, la Terre qui nourrit, et
lHomme qui parachève". Lempereur, symbole du troisième membre de
cette "trinité" est responsable de lordre social comme de lordre
cosmique.
A légard du Ciel qui dirige les deux forces cosmiques (le Yin ou le Négatif, le féminin; et le Yang ou le Positif, le masculin) et les cinq éléments en succession régulière rythmique (métal, bois, eau, feu, terre), le souverain doit accomplir des rites appropriés, se référer aux indications de lastronomie et du calendrier qui sont des signes de lapprobation ou de désapprobation du Ciel.
A légard de la Terre, il doit en assurer la fécondité. Dans la sphère des hommes, il doit les conduire au bien-être matériel et à une vie vertueuse par lexcellence de son gouvernement et par lexemple de sa conduite morale personnelle. Quand il agit bien, le monde connait lordre social et cosmique harmonieux; en revanche, tout acte contraire réagit sur le Ciel et la Terre, provoquant des calamités naturelles et des désordres sociaux.
Cette harmonie universelle nest pourtant pas un effet du hasard, car le Ciel en est le souffle: "Thiên sinh chuùng dân, höõu vaät höõu taéc" (Le Ciel a crée les êtres et les choses suivant un ordre, suivant des lois). - Livre Canonique.
Ainsi, le Ciel ne creée pas simplement pour créer, mais Il a créé selon un "Thiên Meänh" (Dessein du Ciel). Ce "dessein du Ciel", se concrétisant en acte, et se réalisant dans les lois naturelles, décelables par lesprit qui réfléchit, prend le nom de "Đạo Trời" (Voie ou manière dagir du Ciel). A ce "Đạo Trời" correspond un "Đạo làm người" (Voie de vivre en homme), consistant à scruter le dessein du Ciel sur lhomme, à retrouver la Voie du Ciel et à sy conformer.
Autrement dit, nous
pourrions voir ici lanalogie de cette notion du "Projet de Dieu" et de
"La Vocation personnelle de lhomme" de la Théologie catholique. Celui
qui sattache à suivre parfaitement la Voie du Ciel est un "Quân Tử"
type dhomme idéal vers lequel conduit la morale confucéenne.
"Học là học Đạo làm người - Làm người phải giữ "lẽ Trời" dám sai" - Ca Dao (Etudier, cest
étudier la Voie de vivre en
homme, Vivre en homme, cest suivre le Dessein du Ciel et ne jamis sen
écarter) - Chanson Populaire
Ainsi, puisque tout existe par le Ciel, et que le Ciel a tout créé suivant un ordre, la règle de vie générale, que ce soit envers soi-même, envers les autres ou dans lusage des biens creés, cest dy déceler lodre du Ciel et de sy conformer, car "Thuận thiên giả tồn, nghịch thiên giả vong" - Mạnh Tử (Celui qui va dans le sens du Ciel subsistera, celui qui va à lencontre du Ciel, ira à sa perte) - Mencius.
Nous voyons donc que la
Vision vietnamienne du monde se cristallise autour dun "Etre suprême"
(Thượng Đế) qui régit le monde et vers lequel lharmonie universelle doit
tendre comme les rayons vers le soleil lumineux.
Par conséquent, "lhomme nest pas à part dans le monde; lordre
des choses et lordre des hommes constituent une seule et même réalité, dans
lexercice dun fonctionnement solidaire...Lhomme et la nature ne forment
pas deux règnes séparées, mais une société unique. Tel est le principe des
diverses techniques qui règlementent les attitudes humaines. Cest grâce à une
participation active des humains et par leffet dune sorte de discipline
civilisatrice que se réalise lordre universel."
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Ce principe dharmonie universelle dont parle Granet, commande donc le comportement de tout homme dans la société.
Il sagit
dun ensemble de règles rigides présidant aux trois rapports "tam cương:
quân-thần; phụ-tử; phu-phụ" (souverain-sujet; père-fils; mari-femme).
Lobservation consciencieuse des quatre prescriptions conduit au perfectionnement
individuel: Cảnh Vật (sintéresser à toute chose qui existe) - Trí tri
(pénétrer le secret des choses) - Thành ý (avoir des idées nettes) - Chính
tâm (maintenir la pureté du coeur). Nous y reviendrons plus loin.
Le code moral de lhomme de qualité (quân tử) comporte en outre cinq vertus
permanentes (ngũ thường) qui sont: Nhân (humanité) - Nghĩa (équité) - Lễ
(urbanité, politesse) - Trí (intelligence) - Tín (honnêteté).
- La vertu Nhân
nous fait aimer le prochain comme nous-même ("Thương người như thể thương
thân").
- La vertu Nghĩa suivant laquelle on reconnait, respecte et rend aux autres ce qui
leur est du ou tout ce que les autres peuvent ou sont en droit dattendre de nous.
- La vertu Lễ, vertu selon laquelle on rend à chacun selon son rang, sa
position ou sa relation avec nous, quel quil soit, vivant ou mort, tous les devoirs
extérieurs de respect, dhonneur, de politesse, de vénération... suivant les
rites fixés.
- La vertu Trí, vertu qui relève de lintelligence, du jugement pratique -
car elle aboutit à laction - et de la lucidité morale. Enfin, la vertu Tín
se concrétise dans la fidélité à la parole donnée, donc, à lengagement.
Lobjet et la fin
des trois rapports ou liens sociaux cardinaux (tam cương) et des cinq vertus permanentes
(ngũ thường) visent tous, les devoirs envers le prochain.
Le "tu thân" (perfectionnement de soi) entend former des hommes vertueux,
ouverts aux autres et au Bien, en vue dune société bien ordonnée dans laquelle
le bonheur serait fondé sur lamour et la vertu, car pour Confucius, le "tu
thân" nest pas une fin en soi, il nest quune étape conduisant
les hommes à la stature adulte du "quân tử" (type dhomme parfait)
en vue de la réussite de trois missions sociales qui incombent à toute destinée
idéale dhomme: Le "tu thân" est concu en vue du "teà gia"
(régence dune famille), puis du "trò quoác" (participation au
gouvernement du pays) et enfin du "bình thiên hạ" (pacification du monde).
En effet, le "quân tử" ne se pecfectionne pas pour lui-même, mais en vue de sa petite famille dabord, puis en vue dune famille plus grande quest sa patrie, enfin, en vue de la famille mondiale. Car on noubliera jamais cette parole de Confucius: "Tứ hải giai huynh đệ" (les hommes des quatre mers sont tous frères"
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Le confucianisme est ainsi une hiérarchisation morale et sociale dont lefficacité est prouvée par lhistoire.
Une question est
à
clarifier cependant: Pourquoi parler ici de la morale confucéène?
A notre avis, la morale dun peuple est liée à une certaine vision du monde qui
lui est propre et présuppose la reconnaissance dune hiérarchie des valeurs. Dans
cette vue cosmobiologique, chaque chose a sa place, son sens, sa valeur, même la mal et
la mort, à condition daccepter cette aliénation qui sauve lindividu en
lintégrant dans un ordre supérieur. Le sentiment du salut nest plus que la
certitude, acceptée avec foi, de la vitalité du monde tel quil est et "on se sent chez soi"; les célébrations rituelles du culte des
génies en particulier des génies du sol et du riz (xã tắc, thần đất, thần lửa) ne sont que lexpression dune adhésion totale et active
à cette
foi.
Cest pourquoi, à bien réfléchir, "les Orientaux ont donc déjà des religions qui les satisfont. La proclamation chrétienne a le désavantage dapparaitre en ses formes comme un corps étranger pour les non-chrétiens et déveiller à cause de cela, le sentiment quelle est étrangère...Cest ici que git la grande difficulté pour lévangélisation: Nous ne trouvons pas devant nous des religions jaillies comme une idée fixe du cerveau de quelque fondateur. Il sagit en ces fondateurs de religions, des hommes vivants. Il nont pas enseigné la religion de facon abstraite, mais comme hommes qui avaient été formés dans leur attitude spirituelle densemble par une humanité déterminée. Bien quils sélèvent tous au-dessus des implications sociologiques et religieuses précontenues dans cette situation, ils créent à la manière des hommes cest-à-dire au sein dun certain conditionnement."
Dès lors, la religion napparait pas chez eux comme un corps étranger qui aura été introduit de force, mais une production de leur pleine humanité profondément unie à eux de lintérieur.
La deuxième raison de limportance de la morale confucéenne dans le système éducatif vietnamien: cest de cette vision particulière du monde que se dégage la conception vietnamienne de la Personne. Cette manière de voir entraine un certain langage de relation chez le Vietnamien dont nous parlerons plus loin dans notre deuxième partie. Cest un fait que le Vietnamien parle et vit en termes de relation; douø la morale confucéenne dans ce contexte se présente ainsi comme lensemble des normes de conduites idéales réglant les relations entre les personnes dans leurs rapports réciproques.
Enfin notons pour terminer, que léducation ne saurait être vraiment efficace que si elle sadresse à l’homme tout entier, dans son contexte individuel, social et religieux. Ce qui nous amène à étudier la "situation de la Personne au Viet Nam"
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